A la mort du prince-archevêque de Salzbourg Sigismund von Schrattenbach, le 16 décembre 1771, une course à sa succession s’engage. Siège très important dans la hiérarchie catholique, la principauté archiépiscopale suscite en effet d’importantes convoitises parmi les prélats dont le désintéressement n’est pas la qualité première. L’évêque de Gurk, en Carinthie, en est un bel exemple. Hieronymus von Colloredo-Mansfeld (ou plus exactement Hieronymus Joseph Franz de Paula, Comte von Colloredo-Wallsee und Mels…), nommé à Gurk par Schrattenbach, se précipite en effet pour prendre la place de ce dernier. Réputé progressiste et proche des Lumières, il se signale également déjà par sa rigueur et son austérité en toutes choses, ce qui lui vaut l’opposition d’un des électeurs, et pas des moindres : Maximilien III Joseph, prince-électeur de Bavière. Cependant, après quelques péripéties et plusieurs tours de scrutin, Colloredo est finalement élu à Salzbourg et prend ses fonctions en mars 1772.
Comme pour tout souverain, spirituel ou temporel, il faut alors célébrer l’intronisation, qui a lieu le 29 avril suivant. C’est dans ce cadre que le jeune Mozart, alors tout juste rentré d’un séjour à Milan, est amené à contribuer aux festivités. On lui demande de mettre en musique une action théâtrale , ou sérénade dramatique comme on voudra. Le jeune homme – il a alors juste 16 ans – recycle une partition qu’il avait préparée pour les fêtes du cinquantenaire de l’ordination de Sigismund von Schrattenbach. Le livret choisi est emprunté à Métastase, qui l’avait écrit presque quarante ans plus tôt pour célébrer les éminentes qualités de l’impératrice Marie-Thérèse. Il s’agit du songe de Scipion Emilien, raconté ensuite par Cicéron, et durant lequel la Constance et la Fortune viennent se disputer ses grâces. Constance lui présente Scipion l’Africain, qui lui parle d’immortalité, puis lui ramène aussi son propre père Paul-Emile qui lui enseigne l’horreur de la débauche. Avec tout ça, ce pauvre Scipion Emilien choisit Constance. Dame Fortune est donc furieuse, ce qui réveille notre rêveur et permet de finir le tout par un opportun chœur de louanges.
Mozart ne se casse pas trop la tête pour donner du relief à ses personnages très figés et sentencieux et ne s’amuse véritablement qu’à renforcer l’accompagnement orchestral d’une partition qui ne manque donc pas d’élan malgré tout.
Las ! Premier acte d’une relation qui sera des plus orageuseuses (là-dessus, l’Amadeus de Milos Forman, pourtant si hasardeux sur le plan historique, dit à peu près la vérité), la représentation de ce Sogno di Scipione, entre le 29 avril et le 1er mai 1772 au somptueux Palais Mirabell de Salzbourg ne retiendra qu’un seul air, le chœur final et un compliment adressé au prince-archevêque. Il faudra attendre près de deux siècles pour redécouvrir l’œuvre entière. Par exemple cet air de Dame Constance, ici interprété par Lucia Popp dans le premier enregistrement inrégral de la partition, dirigé par Leopold Hager.