C’est au tout début des années 1840 que Wagner, passionné par les mythes et légendes germaniques où il recherche les fondements littéraires de son aspiration à bâtir cet « art total » qu’il veut faire de l’opéra, découvre – alors qu’il vit à Paris – la légende de Lohengrin. C’est Samuel Lehrs, jeune éditeur, qui lui fait découvrir un ouvrage de la Société royale allemande de Königsberg, « Etudes historiques et littéraires », dans lequel Wagner tombe sur la légende du chevalier au cygne, décrite par Christian Theodor Lucas dans « Sur la guerre de la Wartbourg ». De prime abord, il n’en perçoit pas de véritable intérêt pour son œuvre. Puis, peu à peu, parallèlement à l’élaboration de Tannhäuser, au message très différent, Wagner comprend qu’il tient dans la légende de Lohengrin une autre forme de message qu’il veut à ce moment-là porter, et qui tourne autour de l’aspiration à la pureté de l’amour, au désir d’aimer. Une fois présent dans son esprit le sens qu’il veut donner à sa future œuvre, il laisse le mythe de côté pour se consacrer à la partition de Tannhäuser.
Durant l’été 1845, Wagner revient à Lohengrin. Il réunit de nombreuses autres sources pour écrire le livret lui-même, comme pour chacun de ses opéras. Il achève la version en prose en à peine 3 semaines et présente la version en vers au club Engel de Dresde à plusieurs auditeurs, membres éminents de la communauté artistique, dont Robert Schumann. Ce dernier, malgré les éloges de ses collègues pour le texte, doute fort de la possibilité d’en tirer une partition lyrique. Mais Wagner leur fait comprendre que s’ils conçoivent le spectacle opératique comme il avait cours jusqu’alors, il ne faisait pas de doute que son texte ne pourrait pas être mis en musique. Il voulait précisément proposer autre chose, renverser la table lyrique, en faire un nouvel objet artistique « intégré » en quelque sorte, qui fusionnerait théâtre et musique : « Je dessinais dans le Hollandais volant (ndr : Le Vaisseau fantôme pour les Français) avec les contours les plus lâches et les plus vagues ce que dans le Tannhäuser et finalement dans le Lohengrin, je créai avec plus de sûreté, dans une précision de plus en plus grande » écrira Wagner quelques années plus tard. On sait la suite qu’il réservera à ce concept novateur.
La partition de Lohengrin est esquissée au printemps et à l’été 1846, durant un voyage en Suisse. Il l’orchestre à partir du mois de septembre suivant à son retour à Dresde, en commençant par le dernier acte, jusqu’en mars 1847. En juin, le 1er acte est achevé et le 2ème en août. Il termine par le céleste Prélude et met un point final à sa partition le 28 août 1847, 3 ans tout juste avant la création de 1850. Ayant pris part aux événements du printemps 1848, Wagner doit fuir Dresde et ne peut pas y monter son nouvel opéra. C’est à Weimar que la première de Lohengrin a donc lieu, voici 170 ans aujourd’hui, mais sans Wagner, qui avait dû quitter l’Allemagne pour trouver refuge à Zurich et qui avait remis son œuvre entre les mains de Liszt. Le futur gendre de ce dernier donne des instructions extrêmement précises pour l’exécution de sa partition. Il coupe notamment plusieurs dizaines de mesures de la scène finale, juste après que Lohengrin ait révélé à tous son nom.
Liszt, transporté par l’œuvre de Wagner, met beaucoup de cœur et d’énergie à diriger la première, organisée le jour anniversaire de la naissance de Goethe, dans une mise en scène d’Edouard Genast. Mais malgré ses efforts, les critiques sont partagées. Gérard de Nerval, qui assiste à la première, ne tarit pas d’éloges, mais beaucoup d’autres se montrent sceptiques, désarçonnés : « Que du bruit, vacarme infernal ! » écrit le correspondant de la Kleine Musikzeitung de Hambourg. Comme d’habitude, Wagner n’est pas vraiment compris. Mais en quelques mois, après la série de représentations de Weimar, qui s’étale en une demi-douzaine jusqu’en mai 1851, l’œuvre devient la coqueluche des Allemands, avant de conquérir, peu à peu, toute l’Europe. On sait ce qu’il en est aujourd’hui : Lohengrin, sans doute plus accessible aux non-wagnériens que les œuvres qui suivront, est l’un des opéras les plus populaires de son auteur.
En voici la scène finale, dans une étrange production de Claus Guth à la Scala pour le centenaire de la mort de Wagner, reprise ensuite à Paris. C’est Barenboim qui dirige notamment un Jonas Kaufman en pleine possession de ses moyens, mais… sans cygne.