Tout s’annonçait pourtant fort bien. En 1771, Mozart père et fils sont en voyage et arrivent le 16 mars à Vérone où ils sont reçus comme des rois. C’est là que le lendemain, Léopold reçoit une lettre de Milan qui le met en joie : le comte Firmian, aristocrate autrichien qui a alors la haute main sur la capitale lombarde, écrit à Mozart que l’impératrice Marie-Thérèse, selon sa suggestion, va lui commander une « Sérénade théâtrale » pour les noces de l’archiduc Ferdinand et de la princesse Marie-Béatrice de Modène (ce sera Ascanio in Alba). Il lui envoie aussi un contrat par lequel il commande au jeune Wolfgang (15 ans) un nouvel opéra pour Milan l’année suivante. Mais ce dernier se met au travail avec peu d’entrain sur le livret de Giovanni de Gamerra, qui s’inspire de l’argument cornélien de Cinna et à partir duquel Mozart écrit d’abord les récitatifs.
L’année 1772 est morne, les mois passent sans grand plaisir pour le jeune compositeur et voici qu’il arrive avec son père à Milan début novembre pour composer le reste de la musique de ce qui deviendra Lucio Silla. Mais le librettiste, assez peu sûr de lui, se met en tête seulement à ce moment là de consulter le grand Métastase, qui fait moults propositions de modifications, alors même que tous les récitatifs sont déjà prêts. Mozart est pris de court et doit tout refaire. Il commence aussi les arie avec d’autant plus d’empressement que les chanteurs arrivent et que la date de la première, l’habituel 26 décembre, ouverture de la saison, approche. Le 5 décembre, il écrit à sa sœur : « J’ai encore 14 morceaux à composer (…) Il m’est impossible de beaucoup écrire parce que je ne sais rien, et deuxièmement parce que je ne sais pas ce que j’écris (…) ».
La partition est enfin terminée seulement 8 jours avant la première. Tout semble aller mieux, les chanteurs sont ravis des morceaux que Wolfgang leur a concoctés. Les Mozart sont confiants et marchent vers un nouveau succès.
Las ! La première est très chaotique. Elle commence avec beaucoup de retard pour laisser à l’archiduc Ferdinand le temps de finir ses cartes de vœux. Juste avant la première, le ténor retenu pour le rôle titre était tombé malade. On est allé chercher un remplaçant et on n’avait trouvé à Lodi qu’un chanteur d’église sans expérience, qui ne pourra chanter que quelques airs et qui joue si mal qu’il fait rire le public, ce qui dans un opera seria fait mauvais genre. D’après Mozart père, la pauvre de Amicis prend d’ailleurs très mal et pour elle-même les ricanements, si bien qu’elle se met à rater tous ses airs. La soirée est interminable et il n’est nulle part fait mention d’un quelconque triomphe, même si l’œuvre s’en sortira mieux les soirs suivants, pour 25 autres représentations, ce qui est plutôt correct, sans être grandiose. Le public accueille de fait poliment la partition, mais semble déçu. Mozart lui-même est désemparé. Le peu d’ardeur qu’il a mis à composer, ses doutes si caractéristiques de l’âge adolescent, ont sans doute conduit à cette triste transition qui aura pour conséquence de ne plus jamais le revoir en Italie, ni à Milan, ni ailleurs.
La partition laisse néanmoins aux auditeurs d’aujourd’hui bien des raisons de l’admirer, notamment les morceaux écrits pour les rôles féminins, et d’abord pour l’héroïne Giunia, dont voici le merveilleux « Fra i pensier più funesti di morte », ici chanté à Barcelone par Patricia Petibon.