Verdi pense depuis de longues années au poème de Byron, The Corsair, daté de 1813, sa propre année de naissance. Mais n’oublions pas que notre cher compositeur est aussi très grognon. Il veut bien y penser, mais pas pour la Scala de Milan, qu’il boude, ni pour l’éditeur Ricordi, qu’il dédaigne. Faut-il qu’il se sente très fort, quelques petites années à peine après Nabucco ! La nouvelle partition qu’il mûrit sera donc pour Lucca, concurrent direct de Ricordi. Lucca n’aime pas trop le sujet byronien, surtout s’il s’agit de le créer à Londres, comme il en est un temps question (ce sera finalement I Masnadieri). Verdi, lui, a confié dès 1846 la confection du livret à son fidèle Piave que pour une fois il ne rudoie pas trop. Il est fasciné par le résultat et ne veut pas lui rendre : « Je ne te le rendrais que si tu m’en promettais un autre écrit avec le même soin amoureux que celui-ci », lui écrit-il durant l’été 1846. Piave ne sera pas habitué à tant de mansuétude.
Mais pendant ce temps, Verdi réalise I Masnadieri pour Londres, et commence à travailler à Macbeth. Et surtout, lors d’un passage à Paris, il commence sa relation avec celle qui fut son Abigaille, la Strepponi. Donc, le projet Corsaire reste dans les limbes de longs mois avant de ressurgir, vite et pas très bien. Il y attache désormais si peu d’importance que – chose rarissime avec Verdi – il se moque à peu près totalement de la destinée de l’ouvrage, et même des interprètes, lui qui a déjà tant frisé les crises d’apoplexie sur ce sujet. Lucca, cependant, s’applique et trouve de bons chanteurs que Verdi appréciait vivement : De Bassini, Fraschini et la Barbieri-Nini, qui avait créé lady Macbeth.
Finalement, c’est à Trieste que la première est fixée, voici tout juste 170 ans. Verdi n’y viendra même pas, comme si cette œuvre ne le concernait pas. Et de fait, c’est une catastrophe mémorable. L’œuvre est retirée après trois représentations. Un critique écrit que Verdi ferait mieux de s’offrir un long séjour à Paris, « afin d’étudier les grands compositeurs »… Ambiance.
Oubliés, donc, les roucoulements à Piave sur le « merveilleux livret » ! Ce dernier raconte donc l’histoire de Corrado, capitaine de corsaires, craint et haï par ses ennemis et dont le seul rayon de soleil est Medora, jeune femme frêle et malade, qu’il doit quitter pour aller affronter les Maures. Chez ces derniers, dans le harem de Seid, la belle Gulnara se lamente sur son sort. Seid l’adore, mais elle lui tordrait bien le cou. Corrado, grâce à une ruse, surgit avec ses corsaires et met à sac le palais maure. Mais ces derniers réagissent, profitant d’un moment de faiblesse des corsaires et de Corrado, partis sauver les femmes du harem. Les corsaires sont faits prisonniers, Corrado en tête. Evidemment, Gulnara craque pour son héros, mais Seid promet à celui-ci un supplice des plus raffiné et menace Gulnara de l’y rejoindre si elle s’aventure à aimer quelqu’un d’autre que lui… Gulnara, folle de Corrado qui ne le lui rend pas, monte un plan d’évasion et élimine Seid. Ils s’enfuient et retrouvent le repaire des corsaires où Medora meurt juste après les retrouvailles, provoquant le suicide de Corrado et donc le désespoir de Gulnara.
L’œuvre n’a pas fait date et rares sont les théâtres qui la montent aujourd’hui, même si elle revenue en grâce ces dernières années, notamment à l’occasion du bicentenaire Verdi. Dans les années 70, dans le cadre de sa quasi-intégrale des opéras de jeunesse de Verdi , Philips a réuni un cast de grand luxe pour réaliser le seul enregistrement de studio de ce Corsaire décidément bien oublié. En voici le magnifique air de Corrado à l’acte II « Eccomi prigioniero », par un José Carreras en pleine forme.