Elektra est d’abord le fruit d’une rencontre fondamentale : celle de Strauss avec Hugo von Hoffmannsthal, qui sera le librettiste de 6 opéras majeurs du compositeur bavarois, dans une collaboration souvent un peu orageuse, mais fondamentale dans l’histoire de l’art lyrique. C’est en effet à la suite de la représentation d’une pièce d’Hoffmannsthal adaptée de Sophocle sur le personnage d’Elektra, à laquelle Strauss avait assisté à Berlin à l’automne 1903, que ce dernier prend contact avec le dramaturge. C’est seulement au début de 1906 que les deux hommes donnent le vrai coup d’envoi à l’adaptation lyrique de cette pièce. Strauss, qui y pensait sans doute depuis longtemps, écrit dès le mois de juin suivant, mais progresse lentement, donnant lieu comme cela sera toujours le cas ensuite, à une abondante correspondance avec son librettiste, lequel aménage quelque peu sa pièce. Il ne se doute pas encore que cette dernière, qui remportait un vrai succès au théâtre allait, comme la Salomé de Wilde, disparaître totalement derrière son avatar lyrique, comme vampirisée par la musique phénoménale de Strauss.
Car ce dernier conçoit une partition tellurique, plus audacieuse encore que Salomé, justement. Il la termine au tout début de l’automne 1908.
C’est l’opéra de Dresde qui doit accueillir la première de ce nouvel opus d’un compositeur qui, à 44 ans, est déjà considéré comme l’un des plus grands compositeurs de l’époque. L’événement est donc considérable.
Mais cette musique… La partition effraie tout le monde, sauf Strauss qui, avec sa distance habituelle, est à l’origine d’une anecdote bien connue, quoi que son authenticité soit douteuse : lors des répétitions, dès la fin 1908, Strauss aurait reproché au chef Ernest von Schuch de ne pas suffisamment pousser l’orchestre, puisqu’on arrivait toujours à entendre la créatrice du rôle de Clytemnestre, Ernestine Schumann-Heink, qui avait pourtant un sacré coffre.
De fait, la violence qui parcourt toute l’œuvre et le recours à un orchestre énorme font, dès les répétitions, craindre un horrible vacarme aux oreilles délicates. Dans ces conditions, la création de l’œuvre, voici tout juste 110 ans, suscite sans surprise d’assez nombreuses protestations et incompréhensions.
Mais la puissance de cette partition gigantesque et meurtrière pour les voix – principalement féminines, autre caractéristique notable – tout en étant relativement concise, lui ouvre très vite les portes de tous les théâtres d’Europe et outre-Atlantique. On connaît la suite.
Il est bien difficile de choisir une interprétation pour illustrer cette petite chronique, tant les légendes planent au-dessus de cette œuvre. Celle finalement retenue ici est un pari: en 1981, quelques mois avant sa mort, Karl Böhm, l’un des grands interprètes de cet opéra, confie le rôle d’Elektra à Leonie Rysanek, qui fut une Chrysothemis de légende ; et celui de Clytemnestre à Astrid Varnay, qui fut elle une Elektra de légende 20 ans auparavant. Sur la base de l’enregistrement, un film sombre et très expressionniste a été tourné par Götz Friedrich. En voici l’impressionnante scène finale. Pari gagné, malgré toutes les limites qu’induit l’opéra filmé, notamment sur le play-back, qui ne choque pas trop ici.