Durant l’hiver 1946-47, Richard Strauss est en Suisse où il effectue plusieurs séjours autorisés avec parcimonie par les Américains, lui qui est accusé d’avoir participé trop activement à la vie musicale de l’Allemagne nazie. Fatigué, à plus de 80 ans, il tombe sur un poème de Joseph von Eichendorf, « Im Abendrot » (Au crépuscule), qui lui semble tout indiqué pour prendre congé du monde. Il en fait donc un lied pour soprano et orchestre. Le choix de la tessiture ne doit rien au hasard : sa femme Pauline, compagne volcanique d’une vie entière, était elle-même soprano. Peu de temps après, alors qu’il a déjà presque terminé cette page, son fils Franz lui envoie 4 autres poèmes de Hermann Hesse. Strauss entreprend de les orchestrer également pour faire un cycle de lieder. Il n’en achèvera que 3: « Frühling » (Printemps), composé juste après « Im Abendrot », « Beim Schlafengehen » (En s’endormant), en 3ème position et « September », le dernier, qu’il termine en septembre 1948. Il lui reste moins d’un an à vivre.
Après sa mort, l’éditeur Bowsey &Hawkes à Londres choisit de modifier l’ordre des pièces, pour en faire un cheminement vers la fin d’une vie: le printemps d’abord, sensuel et ardent, puis vient septembre, chatoyant et déjà déclinant, puis l’heure du sommeil, aux allures de doux nocturne céleste, et enfin le crépuscule, merveilleux adieu qui n’a rien de lugubre ni de funèbre. On est au chaud au milieu des oiseaux quand tout s’éteint. C’est dans cet ordre que ce qui constitue l’ultime grand chef d’œuvre de Strauss est donc créé à Londres au Royal Albert Hall, par un autre monument, lui-même tout juste sorti de son procès en dénazification, Wilhelm Furtwängler, avec un troisième monument, du chant cette fois, Kirsten Flagstad, à la voix sobrement dramatique, référence absolue. Il existe un enregistrement de cette création, dont le son est vraiment détestable et gâche une bonne partie du plaisir. Ce n’est donc pas cette captation historique que je vous propose pour ce 70ème anniversaire, mais un enregistrement plus récent par une autre immense interprète (il y en a eu beaucoup, il faut bien le dire, avec des voix souvent plus légères), Jessye Norman ici luxueusement accompagnée par l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig dirigé par Kurt Masur.