Récent créateur du théâtre des Bouffes-Parisiens, Jacques Offenbach a besoin de remplir des caisses un peu maigrichonnes et donc de frapper un grand coup au nez et à la barbe des censeurs impériaux. La parodie est alors ce qui lui paraît le plus astucieux pour se jouer à la fois des censeurs et de ceux qui les paient. Et pour bien les narguer, Offenbach choisit avec ses librettistes Crémieux et Halévy un thème cher au cœur des lyricomanes de l’époque : le mythe d’Orphée. Oui, celui qui a perdu son Eurydice, celui qui va jusqu’aux enfers la chercher et tout ça et tout ça. C’est beau comme de l’antique. Mais Offenbach et ses complices vont allègrement tout casser. Eurydice est une épouse exaspérée par son mari, lequel ne pense qu’à son violon ou presque et en tout cas pas à sa femme ; tandis qu’elle fricoterait bien avec un berger de passage, qui n’est autre que Pluton. Mais chez les dieux, on ne rigole pas avec ces bêtises et Jupiter (pas celui-là, l’autre) n’entend pas laisser à Pluton… ce qu’il pourrait obtenir lui-même. Scandale à l’Olympe ! L’Opinion publique va s’efforcer de mettre Orphée, qui n’a rien demandé, dans le droit chemin. En vain ! Tout ceci donne lieu à une partition en deux actes qui est donc créée avec un optimisme résolu par son auteur dans son théâtre voici tout juste 160 ans.
L’accueil initial sera un peu frais. L’œuvre est trop longue et l’auteur la remaniera bien vite et cette fois, le triomphe est énorme. Au grand dam d’à peu près tout ce que compte la critique, les milieux artistiques, religieux, politiques etc. Piétiner le mythe d’Orphée, pointer l’adultère, la nymphomanie, la vacuité des puissants et j’en passe, suscite des hauts-le-cœur généraux dans la bonne société. On se pince le nez de Berlioz à Zola. Et pourtant, l’opéra-bouffe ne quittera jamais les affiches pas plus que ne le quittera l’amour du public, qui adore cet enchainement de gags et de morceaux entrés dans la légende, jusqu’à devenir le symbole de tout ce qui caractérise Paris et la France, le fameux cancan sur « Ce bal est original…nal » à la fin de l’acte II de cette première version, le célèbre ballet infernal. Car Offenbach reprendra très profondément sa partition pour l’allonger à nouveau et la transformer en 4 actes 16 ans plus tard, avec un égal succès.
Les trouvailles musicales d’Offenbach ne se limitent pas à des effets faciles. Il place au début du 1er acte, à l’occasion de la dispute homérique des deux époux, un splendide petit concerto pour violon qui a le don de rendre Eurydice folle de rage. Un petit bijou à la mélodie très fine, tout à fait conforme au talent du Mozart des Champs-Elysées, petit morceau que vous connaissez sans doute. Parmi les productions légendaires de ce chef d’œuvre bouffe, celle de Laurent Pelly et de Marc Minkowski à Lyon tient depuis 20 ans le haut du nuage olympique. Parmi les mille extraits possibles, voici donc celui du concerto précité avec les irremplaçables Natalie Dessay et Yann Beuron.