Parfois, les lendemains de succès sont tristes. On espère moissonner ce qu’on a patiemment semé et voilà qu’on est soi-même fauché, sans même avoir vu l’ampleur de la récolte. Albert Lortzing n’a pas eu le temps d’avoir ces considérations, au matin du 21 janvier 1851. Dans la nuit précédente, une attaque cérébrale l’avait foudroyé à 49 ans, lui dont la santé déclinait depuis des mois. Les secours n’ont rien pu faire et à sa mort, quelques heures plus tard, Lortzing ignore tout à fait le sort de son dernier opéra-comique, Die Opernprobe (La répétition d’opéra), dont la création était assurée le 20 au soir à Francfort, loin de Berlin où il réside depuis quelques années. Sa santé ne lui avait pas permis de faire le voyage. Cette santé, qui était alors minée par une angoisse insurmontable, un stress violent alimenté par une situation matérielle très précaire.
Pourtant, tout aurait pu être si facile et tout avait d’ailleurs si bien commencé ! Des parents artistes qui lui avaient enseigné les rudiments du théâtre, une voix de ténor enviable et un vrai talent de compositeur acquis en autodidacte de la musique. Cet homme à tout faire chantait, jouait la comédie, mettait en scène, participait à l’exécution musicale dans l’orchestre – son instrument était le violoncelle. Un tel prodige s’était fait un nom à Leipzig, où il avait vécu 12 ans, entre 1823 et 1835. Auteur de Singspiels plutôt que de grands opéras romantiques, Lortzing était tombé amoureux de l’opéra-comique français, de sa légèreté, de sa délicatesse. Il voulait en faire un pendant germanique, le « Spieloper ». C’est avec Zar und Zimmermann (Tsar et charpentier), avec pour sujet Pierre le Grand, qu’il acquiert sur ce modèle une grande célébrité dans toute la mosaïque des royaumes et principautés allemandes grâce à un triomphe berlinois (1839) qui avait éclipsé l’accueil plus frileux des Saxons deux ans auparavant. Der Wildschütz (le Braconnier) confirme sa suprématie. Il cherche alors à aller sur le terrain du défunt Weber et de son principal concurrent, Marschner, en écrivant des opéras plus romantiques, dont un Undine en 1845.
Mais il est bien difficile de sortir des cases dans lesquelles on vous met, et les échecs se succèdent. Kapellmeister à Leipzig, où tout lui avait pourtant souri, il est chassé au bout de 2 ans. Un passage calamiteux à Vienne – où l’on n’aime guère ses œuvres parfois grinçantes et dérangeantes – le contraint à accepter de revenir à Berlin sans gloire et avec beaucoup de dettes.
C’est là qu’il va écrire cette dernière œuvre dont il ne saura pas le succès. Ses funérailles rassemblent de nombreuses personnalités, dont Meyerbeer son aîné de 10 ans. Sur son cercueil, on place le drapeau aux couleurs or-rouge-noir, celui de l’actuelle Allemagne qui est alors interdit à Berlin, comme symbole du printemps des peuples de 1848, que Lortzing avait soutenu.
Ce compositeur est certes surtout connu en Allemagne, mais il mérite de l’être au-delà. Il fait partie des rares chaînons qui mènent de Weber à Wagner. Comme le futur maître de l’opéra allemand, Lortzing a d’ailleurs toujours écrit lui-même ses livrets et utilise le principe du Leitmotiv, bien avant que Wagner commence à écrire la moindre note et Lortzing n’en est lui-même pas davantage l’inventeur que l’auteur de Tristan.
Voici un extrait de ce dernier opéra-comique de Lortzing, Die Opernprobe, dans un de ces enregistrements qui ont permis, en Allemagne et à l’époque pour la firme EMI, de préserver ces trésors souvent oubliés de la 1ère moitié du XIXème siècle, avec des distributions somptueuses. Jugez plutôt dans cet extrait : Nicolai Gedda, Regina Marheineke, Walter Berry… sous la direction d’Omar Suitner à Munich en 1975.