Après le triomphe retentissant de Cavalleria rusticana, toute l’Europe est saisie de la mode « vériste » à laquelle Massenet, qui n’est pourtant pas un perdreau de l’année en 1893, cède d’autant plus volontiers qu’il adhérait à cette idée d’œuvres plus ramassées, concises et fulgurantes, alors que ce caméléon lyrique n’avait pas particulièrement donné l’exemple en la matière. Claretie et Cain lui concoctent donc pour Covent Garden un livret tiré de La Cigarette, nouvelle de Jules Claretie lui-même. Massenet passe l’année 1893 à peaufiner sa partition sans lésiner sur la violence et l’âpreté des relations entre les personnages.
L’action se déroule durant la 3e guerre carliste en Espagne (1872-1876). A Bilbao, loyalistes et carlistes se prennent et se reprennent la ville. Une jeune Navarraise, Anita, attend avec angoisse le retour de son amoureux, Araquil, qui s’est couvert de gloire. Mais le père du jeune homme, paysan aisé, ne veut pas d’une bru désargentée. Elle doit apporter une dot de 2000 douros. Le général Garrido, chef des loyalistes, promet une récompense à qui éliminera le chef des carlistes Zuccaraga. Ça ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde et Anita va tenter sa chance en traversant les lignes ennemies. Le lendemain, elle revient et réclame son dû. Mais Araquil, jaloux, l’avait suivie, pensant qu’elle était une espionne ou – pire encore – qu’elle allait se vendre à Zuccaraga. Un tir l’a mortellement blessé et il meurt en réalisant qu’elle a assassiné le chef carliste. Rendue folle par son geste inutile, Anita s’effondre désespérée.
On est bien dans le vérisme tout cru avec ce que les premiers commentateurs de l’époque vont appeler « Calvélleria española », en référence à la créatrice du rôle d’Anita, Emma Calvé, par ailleurs l’une des plus grandes Carmen de l’histoire.
Comme le rappelle avec malice l’excellent Piotr Kaminsky dans ses « 1001 opéras », voici comment l’impitoyable George Bernard Shaw décrit la première londonienne : « Mercredi dernier, vers dix heures et demie du soir, une canonnade retentissante a fait sursauter les habitants de Covent Garden et des alentours. Elle marquait le début de La Navarraise et a causé de profonds ravages parmi les dames et les messieurs qui soignent leurs nerfs au thé et à l’alcool ».
Il n’empêche, sous les yeux du futur Edouard VII, c’est un triomphe qui fera le tour de l’Europe, avant de disparaître très durablement. Dans les années 70, Henry Lewis en gravera l’intégrale (très brève) avec un cast de rêve : Placido Domingo, Marilyn Horne, Sherill Milnes et Nicola Zaccaria. Les voici dans la scène finale.