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Un jour, une création : 1er février 1893, « con passione disperata »

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1 février 2023

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Comment rebondir ? Le jeune Giacomo Puccini avait pourtant beaucoup misé sur son deuxième opéra, Edgar, et son éditeur Ricordi avec lui. Il avait mis cinq ans à l’écrire, avait dû affronter mille difficultés, et tout cela pour finir en miettes dès le soir de la première en avril 1889. Il avait fallu toute l’autorité et la persuasion de l’éditeur pour empêcher ses financeurs de se débarrasser de ce jeune porte-poisse. 

Mais alors, comment rebondir ? Comment avoir confiance ? Quelques mois passent pendant lesquels Ricordi prend conscience que pour libérer la créativité de ce compositeur en qui il voit le véritable héritier du vieux patriarche dont le nom règne depuis 50 ans sur tout le théâtre lyrique italien, il faut le laisser choisir lui-même ce qu’il a envie de raconter. 

 

Photographie portrait de Giacomo Puccini, 1893. Affiche de musique  classique vintage opéra | eBay
Puccini en 1893

Or, Puccini a bien une idée. Quelques temps auparavant, il avait entendu parler du succès, en France, de l’opéra Manon de Jules Massenet. Il en avait lu la partition dans ses moindres détails, l’œuvre n’ayant pas encore été créée en Italie. Pour faire bonne mesure, il lit même le roman de l’Abbé Prévost, bien qu’il ne fût plus au collège et que personne ne l’obligeait pourtant à s’infliger pareille épreuve (qu’on veuille bien pardonne à l’auteur de ces quelques lignes cette résurgence de souvenirs de lecture douloureux). Ricodi tord un peu la moustache et caresse nerveusement sa fine barbe élégamment taillée. Il fait remarquer à son jeune poulain que non seulement le sujet est déjà pris et a été adapté fort récemment par un compositeur très chevronné, mais que ce dernier est aussi très français. Il le met en garde de ne pas trop copier sur lui. Puccini le rassure en lui disant que, précisément, Massenet avait composé son opéra alla francese, avec de la « poudre et des menuets » et que lui, Puccini, allait le faire all’italiana, avec une passion désespérée » (Con passionne disperata)

 

 


Cesira Ferrani, la première Manon

 

Mais pour commencer, il faut bien adapter le pavé de l’Abbé Prévost en italien. Il se tourne vers un ami de Massenet, justement, un confrère qui sait trousser des livrets, Ruggero Leoncavallo. Mais ce dernier, tout à la composition de Pagliacci qui sera créée en 1892, bâcle son travail. Puccini fait donc appel à un autre, le dramaturge Marco Praga, alors très populaire et qui vient de remporter de grands succès avec une pièce, La Femme idéale. Mais Praga n’est pas très à l’aise avec l’écriture de livret et souhaite le secours d’un poète, Domenico Oliva, par ailleurs critique et journaliste.

Le produit qu’ils rendent à Puccini comble de joie le musicien, pourtant très tatillon avec ses librettistes. Mais l’éditeur a son mot à dire et trouve que tout cela n’est pas très professionnel, voire un peu bancal. Il fait appel à des hommes de confiance qui vont être pour Puccini l’une des rencontres de sa vie : le dramaturge Giuseppe Giacosa, très doué pour donner du souffle à un texte, et Luigi Illica, virtuose de la versification. Oui, vous avez bien compté, ils sont cinq à écrire par morceaux le texte du livret, sans compter les tripatouillages de Ricordi et les modifications de Puccini lui-même. Si bien que pour ne vexer personne, et pour ne pas se ridiculiser dès le collage des affiches publicitaires, Ricordi et Puccini prennent une décision des plus rare : Manon Lescaut sera un drame lyrique en quatre actes sur une musique de Giacomo Puccini et… c’est tout. Aucun nom ne sera associé au livret. 

 

Giuseppe Cremonini
Giuseppe Cremonini, créateur du rôle de Des Grieux

 

Puccini, lui, travaille fiévreusement à la musique. Il sait que c’est là sa dernière chance s’il ne veut pas finir dans les oubliettes. Il veut resserrer l’action, supprime des passages entiers qui ne facilitent pas une lecture linéaire de l’histoire de l’Abbé Prévost. On avance à grandes enjambées et Illica l’y aide tout particulièrement. A la croisée des chemins, Puccini sait qu’il doit choisir une nouvelle direction. Toute l’Italie attend, au même moment, la création d’un nouvel opéra de Verdi, annoncé à la Scala pour février 1893. Ce sera le Regio de Turin pour Puccini, mais il a l’avantage de la date, à peine une semaine avant la figure tutélaire. Doit-il s’en démarquer, comme Catalani qui se tourne vers Wagner avec La Wally ? Doit-il céder à la mode lancée par Mascagni et Leoncavallo entre 1890 et 1892, avec un opéra de type vériste comme on les appellera ? Par son génie propre, ses intuitions, sa ruse, Puccini va créer son propre style, avec un peu du meilleur de tous et tout son talent à lui. Ce style s’affinera bien vite ensuite, mais il est véritablement né voici 130 ans aujourd’hui à Turin. Puccini ne s’est pas encombré de scrupules : comme tant de ses devanciers, il a recyclé tout ce qu’il pouvait de ses premières œuvres de jeunesse. Et il donne à tout cela un souffle non dénué de sentimentalisme que d’aucuns appelleront sensiblerie. Et ça marche. Au soir du 1er février 1893, le public turinois est en délire. Cette fois, c’est sûr, on tient l’héritier de Verdi, le nouvel astre lyrique italien est né et c’est un Lucquois d’à peine 35 ans.

 

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