Meyerbeer a 25 ans en 1817 lorsqu’il présente à Padoue son premier opéra italien, Romilda e Costanza. Il avait quitté son Allemagne natale où le succès ne lui avait pas encore ouvert ses portes et tenté sa chance dans la péninsule italienne, plus prometteuse, peut-être à l’instigation de Salieri, rencontré à Vienne. Il signe donc un contrat avec le Teatro Nuovo de Padoue après avoir été grugé par le San Benedetto de Venise (il devait en gros payer pour être produit) et confie le livret à Gaetano Rossi, vieux routier des scènes italiennes, qui avait déjà plus de 80 ouvrages à son actif, dont plusieurs pour Mayr ou Coccia, mais aussi Rossini (La cambiale di matrimonio et surtout Tancredi, véritable choc pour Meyerbeer).
Un peu comme la Pie voleuse de ce dernier, ce Romilda e Costanza qu’il écrit pour le jeune Meyerbeer est un mélange d’opera seria et de comédie. Il est d’ailleurs présenté comme un « melodramma semiserio », et il a aussi les caractéristiques d’un « opéra à sauvetage » à la manière de Fidelio.
Le livret est un des innombrables exemples d’invraisemblance grotesque que compte l’histoire de l’art lyrique. Il situe l’action au Moyen-Âge en Provence, et nous donne à rencontrer deux jumeaux, Teobaldo et Retello. Le premier, prince de Provence, de retour victorieux de la guerre contre le duc de Bretagne, aime la belle Romilda, fille de ce dernier. Problème : il avait juré fidélité à Costanza, fille du comte de Sisteron, avant de partir… Pour éviter une confrontation qu’on devine explosive, Romilda suit donc son Teobaldo déguisée en page. Costanza a de gros doutes sur ce page aux traits si fins… mais elle est rassurée par son père : si Teobaldo ne l’épouse pas, il devra renoncer au royaume de Provence. Mais justement, Retello, le frère jumeau de Teobaldo, pense davantage aux gros sous et au trône qu’aux belles dames. Il veut précisément écarter son frère de l’héritage paternel. Quoi de mieux pour cela que de le faire enfermer ? Prenant prétexte de l’aveu du mariage secret entre Teobaldo et Romilda et de l’indignation que cela suscite à la cour de Provence, Retello fait arrêter son frère. Costanza, bien que terriblement jalouse, veut tout faire pour sauver Teobaldo, qu’elle aime encore. Romilda, toujours déguisée, jure que si elle l’aide à sauver le prisonnier, elle lui livrera sa rivale (et donc elle-même). Aidée par le frère de lait de Teobaldo, Pierotto, qui déniche on ne sait comment la clé de la bonne cellule, elles parviennent à retrouver le prince. Mais Retello est prévenu, les gardes accourent et au moment où ils vont tuer Romilda, Teobaldo qui est son page en réalité. Costanza, furieuse, veut la tuer et on enferme à nouveau Teobaldo. Retello entend s’en débarrasser définitivement, ce qui décide Ugo, écuyer de Teobaldo, d’intervenir avec des soldats fidèles au prince emprisonné, pendant que Pierrotto soulève ses amis paysans contre Retello. Romilda guide Ugo et ses hommes à la cellule de Teobaldo. De son côté, pour faire bonne mesure, Costanza menace de révéler à tous le funeste et immoral projet de Retello, qui nie tout avec la plus grande couardise. Magnanime, Teobaldo pardonne à tous, et Costanza, apaisée, pardonne également à Romilda qui pourra épouser son prince.
C’est très influencé par ce qu’il a entendu de Rossini que Meyerbeer compose sur un tel maelström emberlificoté une partition qui lui prend un petit mois. Mais Meyerbeer est un grand sensible. Son stress le submerge et les répétitions durent longtemps car on attend que le compositeur soit en état de les superviser. Diverses intrigues dignes d’un livret de Rossi viennent perturber les préparatifs : la prima donna, la Pisaroni, créatrice de Romilda, se prend de passion pour Meyerbeer qui ne partage pas ses sentiments. Blessée, elle cherche à pousser tout son monde à saboter la première. On passe sur d’autres aventures : la première est malgré tout un succès et l’œuvre sera – modérément – reprise. Mais elle consacre les débuts du jeune compositeur qui bientôt italianisera même son prénom en souvenir de ce qui allait être une série de réussites.
L’indispensable label Opera rara a enregistré voici quelques années cette première italienne de Meyerbeer, avec notamment Chris Meritt en Teobaldo, Anne Mason en Romilda et Bronwen Mills en Costanza. Les voici dans le trio du 1er acte : « Che barbaro tormento », sous la baguette de David Parry à la tête de l’orchestre Philharmonia.