Après le triomphe de La Dame de pique en 1890, Tchaïkovski ne tarde pas à recevoir une nouvelle commande du patron des théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg, Ivan Vsévolojski. Mais cette fois, la demande est un peu particulière : il s’agit de la double commande d’un opéra et d’un ballet, destinés à être créés le même soir.
Le compositeur propose d’adapter une pièce du dramaturge danois Henryck Herz, La Fille du roi René, qui date du milieu du XIXe siècle et que Tchaïkovski avait lue plusieurs années auparavant dans sa traduction russe, avant de la voir en 1888. Il avait aimé cette histoire poignante pleine de douceur et demande à son frère Modeste d’en tirer le livret du futur opéra : « J’écrirai un opéra qui fera pleurer tout le monde » lui dit-il. Il déclarera ensuite à un journal russe : « Le sujet m’avait frappé par sa poésie, son originalité, et par l’abondance de moments lyriques. Je m’étais promis qu’un jour, je le mettrais en musique ».
Tchaïkovski se met véritablement au travail à l’été 1891, après sa tournée triomphale aux Etats-Unis où il a participé aux concerts d’inauguration de Carnegie Hall à New York. Comme il compose d’autres pièces au même moment – y compris le fameux ballet commandé parallèlement, dont Tchaïkovsky s’est vu imposer le sujet et qui sera Casse-Noisette – il n’avance pas très vite. Mais il se passionne pour le livret de son frère, qu’il trouve particulièrement réussi. Comme d’habitude, il alterne moments de satisfaction et autocritique virulente sur son travail, jusqu’à affirmer qu’il est « content de lui » après avoir achevé la berceuse. Pour complaire à celui qui fut le créateur d’Hermann de La Dame de pique et qui est pressenti pour créer Vaudémont dans Iolanta, Nikolaï Figner, il ajoute un poème qu’il met en musique pour l’insérer dans la partition de l’opéra.
La partition d’orchestre porte la date du 20 novembre 1891 pour marquer son achèvement dans le calendrier julien (2 décembre dans le grégorien). Il n’écrit l’introduction orchestrale qu’à ce moment là. Il se consacre ensuite à la partition de Casse-Noisette qu’il termine trois mois plus tard.
Comme prévu, les deux œuvres sont donc créées le même soir, voici 130 ans le 6 décembre 1892 (18 décembre dans le calendrier grégorien) au théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. C’est Eduard Napravnik qui dirige l’opéra comme il avait créé La Dame de pique ou encore Les Souliers de la reine auparavant. Richard Drigo se charge ensuite du ballet.
Le public réserve un accueil enthousiaste à l’histoire de la douce aveugle Iolanta, nom que Tchaïkovski a d’emblée réprouvé, demandant qu’on appelle son œuvre Iolanda, puisque l’héroïne de la pièce de Herz portait le nom français de Yolande. Mais les faits sont têtus et le compositeur n’a jamais obtenu gain de cause. Les critiques, à rebours du public, se montrent sévères avec le dernier opus lyrique de Tchaïkovski : « œuvre faible qui n’ajoute pas de lauriers à la couronne artistique de ce compositeur » écrit par exemple Le feuillet de Saint-Pétersbourg, qui est sans doute le moins dur de tous…
De fait, la partition mettra du temps à asseoir sa réputation en dehors de la Russie, même s’il sera davantage enregistré que plusieurs autres opéras du maître. Il faut noter cependant qu’il se maintient raisonnablement à l’affiche avant d’être repris un peu partout en Europe et notamment à Vienne en 1900, sous la direction de Mahler. En Russie, il n’a d’ailleurs jamais vraiment quitté l’affiche, suscitant même l’intérêt du régime soviétique, qui s’empressera d’en modifier plusieurs pages du livret, pour retirer les allusions – claires ou plus subtiles – à la religion. L’œuvre, très symboliste dans ce chemin initatique qui mène Iolanta vers la lumière à travers l’amour pour Vaudémont, est d’une grande poésie que la récente mise en scène en clair-obscur de Tcherniakov pour l’Opéra de Paris, doublée d’un Casse-Noisette sombre et fascinant, magnifie tout autant que son interprète, Sonya Yoncheva, ici dans le finale de l’œuvre.