Pour Haendel, l’année 1723 marque plusieurs événements importants, dans sa vie quotidienne, comme dans sa production musicale.
Voilà 12 ans qu’il a décidé de se fixer définitivement en Angleterre, mais il y a précisément 300 ans qu’il pose ses valises dans le quartier de Mayfair à Londres, au n° 24 de Brook Street. Il louera cette belle demeure georgienne jusqu’à sa mort en 1759 et elle abrite aujourd’hui le Musée Haendel, juste à côté du Musée Hendrix. Le rocker et virtuose de la guitare Jimi Hendrix a en effet vécu au numéro 23.
En 1723 la Royal Academy of Music entre déjà dans sa 4ème saison. Cette institution n’a rien à voir avec le Conservatoire de Londres qui verra le jour un siècle plus tard. L’Académie est née de la passion que porte une poignée d’aristocrates pour l’opéra italien. Trois compositeurs reçoivent principalement des commandes pour satisfaire cette soif d’art lyrique italien : Bononcini, Ariosti et Haendel, qui occupe en plus les fonctions de « Maître de l’orchestre ». Dans ses attributions il y a la gestion de l’orchestre et des répétitions, mais aussi la recherche des livrets et l’engagement des solistes, une mission cruciale au moment où débute une guerre des sopranos et des castrats. Chargé en 1719 de ramener à Londres les meilleurs chanteurs, il part à Dresde où il assiste à une représentation de Teofane, d’Antonio Lotti. Il engage illico plusieurs chanteurs de la distribution et pas des moindres : Senesino, l’un des plus célèbres castrats, Giuseppe Maria Boschi et Margherita Durastanti. Il ramène également avec lui le livret de Pallavicino pour Teofane qu’il reprendra pour son Ottone créé il y a précisément 300 ans. Jusqu’ici Rinaldo fut le seul succès retentissant du Saxon à Londres, en 1711. Outre les trois vedettes déjà citées, qui garderont le rôle qu’elles tenaient dans le Teofane de Lotti à Dresde, Haendel engage pour la première fois à Londres Francesca Cuzzoni, qui deviendra l’une des plus grandes sopranos de l’époque. Cette étoile italienne, apprenant que la musique que Haendel lui destine est déjà écrite sans tenir compte de sa brillante virtuosité, refuse tout net de chanter « Falsa imagine ». Cet air de Teofane n’est en plus accompagné que de la seule basse continue, alors que d’autres profitent des gurilandes ornées par les violons ou les hautbois. La réplique célèbre de Haendel ne tarde pas et la chronique de l’époque nous la livre en français : « Oh ! Madame, je sçais bien que Vous êtes une véritable diablesse : mais je Vous ferai sçavoir que je suis Belzebuub, le Chef des Diables ! ». Haendel empoigne ensuite la Cuzzoni et menace de la jeter par la fenêtre, un argument auquel il est difficile de résister. Non seulement « Falsa imagine » la fera triompher le 12 janvier, lors de la création au King’s Theatre, mais elle reprendra cet air sublime tout au long de sa carrière. Ottone devient aussi l’un des plus beaux succès du cher Saxon. Le triomphe de Francesca Cuzzoni incite la Royal Academy of Music à lui proposer sans plus attendre un contrat pour les deux saisons suivantes. Devant l’engouement du public, le prix des tickets est augmenté dès la deuxième représentation. Ottone fera l’objet de multiples reprises et c’est le seul opéra de Haendel que chantera Farinelli, lors de la reprise de 1734.
« Falsa imagine » a également permis à Marie Lys de s’imposer brillamment à Innsbruck au Concours Cesti en août 2018. C’est cette version que nous vous proposons de découvrir. Elle rend hommage à l’immense talent de Haendel, qui n’a pas besoin d’un orchestre monumental pour nous bouleverser, mais donne également un impressionnant aperçu du talent de Francesca Cuzzoni et par conséquence de celui de Marie Lys.