Domenico Cimarosa est retourné dans sa Naples quasi natale (il était né 51 ans plus tôt à Aversa, dans la province de Caserte) au début des années 1790 après avoir servi pendant 4 années la tsarine Catherine II à Saint-Pétersbourg. Naples, l’une des cours les plus conservatrices d’Europe, où grouillent les intrigants et les jaloux – son vieux rival Paisiello en tête. Naples, où Cimarosa recueillera les fruits de son fameux Matrimonio segreto créé à Vienne sur le chemin du retour, le seul de ses nombreux opéras restés à l’affiche depuis. Le succès de cette partition a été si extraordinaire qu’il a suffi à imposer à nouveau le compositeur dans la capitale du royaume, au grand dam de ses ennemis.
Cependant, au terme de quelques années d’intrigues en tous genres, ces derniers vont pouvoir utiliser contre leur adversaire une autre arme pour tenter de l’abattre. En effet, même s’il présente à la cour de Naples ses œuvres, même s’il l’a fait à la cour de Vienne ou en Toscane, même s’il a servi auprès de la tsarine de Russie, Cimarosa n’a rien d’un monarchiste. Les idées de la Révolution française l’enthousiasment et ses inclinations – ses engagements, même – sont à la fois républicaines et favorables à l’unification de la péninsule italienne, bien avant que les œuvres de Verdi n’en deviennent un autre étendard. Or, en 1798, le roi de Naples Ferdinand IV, poussé par la reine Marie-Caroline d’Autriche – qui n’a jamais pardonné aux révolutionnaires l’exécution de sa soeur Marie-Antoinette – et par l’ambassadeur britannique à Naples, lord Hamilton, se lance dans une guerre contre la France. Mal lui en prend : les troupes françaises du général Championnet écrasent les siennes et entrent dans la capitale, proclamant l’avènement d’une république qu’on appellera parthénopéenne, le 21 janvier 1799. Cimarosa, enthousiaste, ne se fait pas prier pour écrire un vibrant Hymne à la gloire du nouveau régime et contre les tyrans.
Mais à peine 3 mois plus tard, les Français, qui ont perdu la maîtrise de la mer à cause de l’amiral Nelson et qui doivent se regrouper pour faire face à l’armée russe plus au nord, évacuent le sud de la péninsule. Aidé par les Anglais, Ferdinand IV reprend son trône en juin 1799, non sans exercer une répression extrêmement brutale. Cimarosa lui écrit aussitôt un hymne glorifiant son retour. Mais l’entourage du roi n’est pas dupe. Cimarosa est dénoncé et le cardnal Ruffo, figure de la restauration, le fait emprisonner plusieurs mois. Ses soutiens, néanmoins nombreux parmi ceux qui aiment sa musique, réussiront à le faire sortir et à obtenir qu’une mort certaine soit commuée en bannissement à vie. Voilà Cimarosa le voyageur de retour sur les routes, avec pour intention probable – mais incertaine – de rallier Saint-Pétersbourg. Alors qu’il se trouve à Venise, la Fenice lui commande un opéra, qui sera son dernier, Artemisia – à ne pas confondre avec une autre œuvre du même nom qu’il avait écrite plusieurs années auparavant. C’est alors que Cimarosa tombe subitement gravement malade et meurt voici 220 ans aujourd’hui, au Palais Duodo. Une légende tenace naît alors sur les ciconstances d’une mort si soudaine. On dit qu’il aurait été empoisonné par les sbires du roi et de la reine de Naples. Stendhal lui-même, évoquant cet épisode dans sa Vie de Rossini insinuera que la mort de Cimarosa était le fait des Napolitains. Il est pour autant acquis très tôt que c’est une mauvaise inflammation des intestins qui a emporté le compositeur.
Très connu et très aimé dans toute l’Italie, Cimarosa est beaucoup pleuré. Une Fenice toute tendue de noir crée quelques jours plus tard son dernier opéra. On baisse le rideau à l’endroit où le maître avait cessé de composer – l’oeuvre n’étant pas achevée – comme le fera Toscanini pour la Turandot de Puccini 125 ans plus tard. Cimarosa est enterré dans l’église, aujourd’hui disparue, de San Michele Arcangelo.
Pour commémorer la disparition de ce grand compositeur tant admiré, voici un délicieux extrait de ce dernier opéra, Artemisia, l’air « Entro quest’anima », ici interprété par Amanda Roocroft, dans un disque consacré voici 25 ans aux contemporains de Mozart, sous la direction de Neville Marriner à la tête de l’Academy of Saint Martin in the Fields.