Si l’Opéra de Paris ouvrait officiellement sa saison lyrique par Eliogabalo dans les murs de Garnier (voir compte-rendu), c’est à l’Opéra Bastille qui le public frémissait d’attente : Tosca, dans la production de Pierre Audi, avec enfin de retour sur les planches parisiennes, Anja Harteros. Déjà Christophe Rizoud nous avait mis l’eau à la bouche en ouverture du festival d’été de Munich… et voici que Bryn Terfel est lui aussi du voyage, secondé par Marcelo Alvarez, déjà Mario lors de la création de la production. Bien que toujours aussi cabot en scène, le ténor dresse un portrait du peintre voltairien peu ou prou identique, entre ardeur et douceur. L’endurance ne lui manque pas (contrairement à son Manrico l’an passé) et nuances et couleurs émaillent le chant si bien qu’il ne dépareille pas au milieu de ses illustres compagnons. Bryn Terfel semble tout d’abord plus en retrait, nonobstant un volume torrentiel projeté dans une émission parfois débraillée. Le métier du Gallois fait le reste et le charisme scénique achève de vaincre toute réticence. Un fauve en scène rode et chaque rictus fait mouche à tel point que ce Scarpia-là révulse tout autant qu’il séduit. Acclamée longuement après un « Vissi d’arte » au souffle infini, presque murmuré, Anja Harteros confirme que son absence de la scène parisienne n’avait que trop duré. Si son personnage souffre des mêmes défauts que celui du Cavalier, à savoir positions et gestuelle convenues, nul ne peut nier la présence et l’intensité que la soprano allemande met au service du drame. La beauté intrinsèque du timbre enjôle, la palette de nuances force l’admiration et l’aisance vocale laisse pantois. Les seconds rôles tiennent leur rang, que ce soit le solide Angelotti de Alexander Tsymbalyuk, le veule Spoletta de Carlo Bosi, ou le sacristain un brin surjoué de Francis Dudziak (qui lui aussi participait à la création de la production et remplace Jean-Philippe Lafont le temps de sa convalescence). L’absence aux saluts de l’équipe artistique explique sans doute que la direction d’acteur reste sommaire laissant aux interprètes carte blanche.
M. Alvarez et A. Harteros en répétitions © E. Bauer / Opéra de Paris
L’Histoire nous apprend que d’un triumvirat émerge bien souvent une personnalité. Si c’est Anja Harteros qui triomphe dans le cœur du public parisien, l’inouï se trouve pourtant bien dans la fosse. Dan Ettinger n’en est pourtant pas à sa première invitation à l’Opéra de Paris. Son travail rigoureux lui a valu quelques succès d’estime. Ce soir il entre dans une nouvelle dimension où, fort de ces qualités, il sculpte une direction toute personnelle, dont la caractéristique principale est une lenteur quasi générale des tempi, à l’exception des climax du deuxième acte. Lenteur qu’il accentue encore de ralentis et de points d’orgue. A chaque phrase il détaille la texture de son orchestre, entre des violons et violoncelles au vibrato large et long, support d’un pathos jamais vulgaire et contrebalancé par des cuivres mats. Ça et là des détails surgissent comme des touches pointillistes. Ici encore un contre-chant est mis en avant. C’est surement pour cela que le « Vissi d’arte » tutoie ce soir des cimes : d’abord le violoncelle se fait l’écho de la plainte de Tosca, avant que la petite harmonie ne viennent en seconder la supplique. Une lecture intime, presque apaisée de Puccini qui agrippe l’auditeur sans qu’il s’en rende compte, à l’opposé des déluges de décibels bien souvent entendus.
Les qualités et défauts de la production de Pierre Audi sont maintenant bien connus (voir les trois compte-rendu signés de mains différentes dans nos colonnes). L’épure proposée fonctionne, même si peut-être moins au premier acte où l’espace, les entrées et les sorties sont moins lisibles. Cette reprise permet de se concentrer sur d’autres éléments et il faut louer la qualité des éclairages (Jean Kalman) et des costumes (Robby Duiveman).