Avant la dernière représentation de Carmen, au Staatsoper de Berlin, Stanislas de Barbeyrac évoque Berlin, ses rôles, la situation actuelle de l’opéra.
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C’est la dernière de Carmen ce soir à Berlin.
Oui, il s’agissait de mes débuts ici au Staatsoper, il y avait donc beaucoup d’attente. Le process était certes très enrichissant mais il y a eu aussi un peu de frustration. Quand je suis arrivé, Marianne [Crebassa, remplacée par Gaëlle Arquez] n’était pas là, il a fallu trouver une nouvelle Carmen, j’ai répété quatre jours avec Escamillo, et c’était un peu long. Daniel Barenboïm n’a pas pu venir, alors que chanter sous sa direction était une de mes grosses attentes. Donc un peu de désillusion et puis finalement, avec Bertrand de Billy, c’est formidable, nous nous connaissions pour avoir déjà travaillé ensemble.
Ici à Berlin les reprises sont très courtes, je ne suis sur place que depuis trois semaines. Les Berlinois ont l’habitude de travailler comme ça, rapidement, et c’est à nous de nous adapter. Les Allemands sont très efficaces ; quand je vois qu’à l’Opéra de Paris ou au TCE, on a parfois huit semaines de répétitions pures au piano, c’est invraisemblable et ça coûte un argent fou. Il y a 60% du répertoire lyrique qui pourait être répété au piano en deux semaines.
Mais j’engrange de l’expérience et engranger de l’expérience dans des lieux comme ceux-ci, ça n’a pas de prix. Ici les gens se connaissent bien, ils sont ou ont été dans l’Ensemble et cela compte. Il faudrait qu’on ait cela en France.
Oui mais vous savez que les troupes coûtent cher.
Certes, mais au vu du gaspillage dans certaines maisons…Je pense aux mises en scène bien sûr mais aussi au coût des caprices ! Les caprices des chanteurs je veux dire. « Je viens, je répète trois semaines et puis finalement ça ne me convient pas et je m’en vais ! ». C’est un choix certes mais un choix qu’on peut faire au bout de deux jours de répétition, et qui a un coût exorbitant.
Le coût des mises en scène par ailleurs empêche aussi de bien payer les chanteurs. On voit aujourd’hui de jeunes chanteurs sortis du Conservatoire ou d’écoles de chant réputées, être payés 800€ bruts par soir, et à qui on dit : « Tu devrais être content d’être là, c’est une super expérience » et après on met 200 000 € pour une mise en scène pourrie ! Je sais que je suis privilégié mais je suis aussi passé par ces étapes quand j’étais jeune chanteur.
Il y a un débat en France actuellement.
Il faut trouver l’équilibre entre proposition artistique, construction d’une saison et surtout quelle part donner à l’engagement des chanteurs français. Ils sont là ces chanteurs ! Combien de fois ai-je vu des seconds rôles dans Manon, Carmen, donnés à des chanteurs étrangers, que personne ne connaît – et qui ne sont pas chers. Il y a des maisons en France (comme le Capitole) qui s’efforcent de promouvoir les chanteurs français, mais la tendance est lente. Il faut prendre en compte la parole des acteurs de l’opéra et pas uniquement de ceux qui vont de poste en poste et qui font de la politique culturelle. Il y a aussi énormément de préjugés dans des municipalités qui coupent les budgets de l’opéra, par grave méconnaissance du sujet.
Y a t-il eu un déclic dans votre carrière ?
Oui, la confiance de quelqu’un, en fait. J’ai été repéré par un agent [Monique Baudouin] lors d’un tout petit concours, à Béziers. Quelqu’un capable de guider vers les bons choix et les bons rôles. Au niveau des productions, le point de bascule a été mon audition auprès de Raymond Duffaut qui m’a permis de prendre Gastone (Rigoletto, 2011) aux Chorégies d’Orange. Il y a eu aussi mon premier Tamino à Aix. Ce qu’il faut c’est connaître des évolutions progressives. C’est un peu ce que je vis aujourd’hui, après 12 ou 13 ans de carrière, un virage va s’amorcer, je mets les Mozart un peu de côté.
Pour en revenir à Carmen, avec Don José, vous êtes dans votre zone de confort ?
Oui, tout à fait, je vais garder ce rôle encore un peu, j’ai beaucoup de projets avec Don José. C’est un très beau personnage, j’adore ce bonhomme. C’est une histoire que l’on peut servir de plein de façons différentes.
Wagner s’annonce, lit-on ?
Oui c’est une étape, liée là encore à des rencontres. Je savais que j’avais Siegmund dans la voix, depuis un moment. Mais avoir la voix c’est une chose, tenir le rôle c’en est une autre. C’est un rôle somme toute lyrique, comme Parsifal, Erik et même Lohengrin, même s’il y a la pâte wagnérienne, des duos héroïques, et un peu de bruit !
Je travaille Siegmund depuis un moment maintenant ; en fait je vais le faire par étapes avant de le donner dans un très bel endroit en Europe (je ne peux encore vous dire où ça sera, mais ce ne sera ni en France ni en Allemagne ! ) Il y aura un premier acte de Walküre en octobre à Rome ; puis, en 2024, il y aura une tournée avec l’ouvrage entier en version de concert, avec Yannick Nézet-Séguin et enfin sur scène, en 2025.
Comment travaillez-vous, vous écoutez ?
Non, mon premier réflexe c’est la partition. Ceux que j’ai écoutés et qui m’ont bien plu sont des gens comme Lauritz Melchior, John Vickers. Mais je fais attention au risque de mimétisme.
Vous pensez à Siegfried, Tristan, pour plus tard ?
Oui, Tristan j’aimerais bien, c’est une sorte de Graal. Mais quand j’écoute le troisième acte, je me dis toujours : « Mais comment fait-il ? »
Quels sont vos répertoires de prédilection ?
Chostakovitch, Mahler, Tchaikovski, Mozart et puis le répertoire mélodique que je voudrais développer à l’avenir. Pour ce qui est du répertoire italien, j’aurais rêvé chanter Nemorino mais on ne me l’a jamais proposé. Le bel canto ne me parle pas plus que cela, je n’ai pas cela dans sang ; j’aime les choses un peu torturées. Et puis, au-dessus de tout, il y a Debussy. Il y a Pelléas, pour ma voix et il y aura peut-être un jour Tristan, si je suis sage.