Alors que Zoroastre est loin d’être l’opéra de Rameau le plus connu du public, Alexis Kossenko fait le pari de proposer non pas sa version la plus jouée, celle de 1756, mais bien la toute première, créée en 1749. En effet, la première fut un four à l’époque, principalement en raison du livret de Louis de Cahusac, jugé trop moral et philosophique, d’où une réécriture profonde en 1756 faisant la part belle aux sous-intrigues amoureuses.
Cette recréation mondiale est un véritable succès. Rendue possible grâce au travail du Centre de musique baroque de Versailles, cette version nous plonge au cœur du livret original résolument centré autour de la lutte entre le bien et le mal. Elle est aussi l’occasion de découvrir de somptueuses pages inédites, notamment une autre version du duo final entre Zoroastre et Amélite axé autour de l’immortalité de l’amour, un peu différent du duo de 1756 (« Que ces noeuds sont charmants »). Le chef Kossenko ne ménage pas ses efforts : sa direction musicale fait le grand écart entre le registre épique, qui sied d’autant plus que le propos s’étend à des enjeux d’échelle divine, et les registres plus tendres des déchirures amoureuses. L’orchestre des Ambassadeurs – La Grande Écurie donne un témoignage supplémentaire de son excellence, positionné en format « d’origine » si l’on peut dire, en matière d’effectif (quatre flûtes, hautbois, bassons et neuf violoncelles) comme de disposition (violons au centre, flûtes sur le devant, basses de part et d’autre). Le Chœur de chambre de Namur est à l’avenant : sa puissance et sa projection font frémir le spectateur à chacune de leurs interventions.
Mais ce qui particularise la soirée est vraiment le plateau vocal, qui est tout simplement la réunion de l’excellence baroque européenne du moment. Sans surprise aucune, le Jéliote de notre temps, Reinoud Van Mechelen, est l’étoile de la soirée. La voix est douce comme du coton, l’émission est aussi puissante que fine, le vibrato élégant, maîtrisé – le tout servi par une diction irréprochable. C’est bluffant aussi scéniquement, son Zoroastre a tant la force du leader mystique que la fragilité du héros tragique. Jodie Devos de son côté est une splendide Amélite : la clarté de la voix n’a d’égale que son agilité. Son « Amour vole » final a fait s’envoler tout le public sans exception ! Son charisme et sa présence scénique permettent aussi d’ailleurs de sublimer la grâce de sa voix. L’Érinice de Véronique Gens a tout de la conspiratrice blessée. La soprano sait osciller entre les tonalités sombres de la vengeance et le désespoir de la déception, par une voix dense et profonde. L’Abramane de Tassis Christoyannis déploie souverainement la stature du grand prêtre des idoles et nous gratifie de graves démoniaques et infernaux. Sa solennité peut parfois donner une impression monolithique, mais c’est peut-être là l’effet d’une version concert qui gagnerait à être mise en scène.
Le reste du plateau vocal est curieusement luxueux. Le joyau de la soirée est bien sûr l’excellentissime Mathias Vidal. La tenue de ses aigus, son phrasé et sa technique d’attaque des lignes mélodiques aboutissent à une voix aussi somptueuse qu’immédiatement reconnaissable. Cette excellence et cette élégance sans égal en font un haute-contre éminemment précieux. Gwendoline Blondeel et Marine Lafdal-Franc sont rayonnantes et apportent toutes deux de beaux éclats de voix à chacune de leur apparition. David Witczak campe ses multiples rôles avec la même aisance et la profondeur d’un beau baryton. Enfin, en apparition finale, la Furie de Thibaut Lenaerts s’insère parfaitement au reste de cette excellente distribution.