Après Schnitzler (Reigen), Shakespeare (Le Comte d’hiver) et Strinberg (Julie), adaptés pour la scène lyrique avec succès, par Philippe Boesmans et Luc Bondy, le désormais célèbre duo a choisi de s’attaquer à l’oeuvre de Witold Gombrowicz, Yvonne Princesse de Bourgogne. La pièce créée en 1938, mais longtemps interdite en raison de son impertinence et de l’acidité de son ton, à peine voilée par une absurdité de façade, met en scène un mystérieux personnage féminin, autour duquel se révèlent tel un miroir, l’âme des protagonistes et les drames qui les animent. Conte de fée inversé où un prince charmant rencontre une jeune fille détestable, s’obstine à vouloir l’aimer et à l’imposer à son entourage, cette apparente comédie tourne au drame avec le meurtre prémédité d’Yvonne, qui s’étouffe le jour de ses fiançailles.
Compositeur au style affirmé, personnalité atypique par la liberté assumée de son langage musical, Boesmans – qui succède au polonais Zygmunt Krauze, lui aussi auteur d’une Yvonne Princesse de Bourgogne présentée en version de concert à Paris, en novembre 2004, au Théâtre Silvia Monfort, dirigée par Wojciech Rajski – nous avait jusque là habitué à une musique narrative, aux effets ondoyants, toujours en parfaite adéquation avec le texte, sa force résidant à la fois dans l’efficacité dramatique et l’écriture vocale respectueuse des voix et de la prosodie. Que lui est-il arrivé, lui si inspiré par la troublante Melle Julie, héroïne sacrificielle trop en avance sur son temps et contrainte au suicide, pour rater à ce point sa dernière création ? Le sujet sans doute, annoncé comme parodique, mais traité avec beaucoup trop de sérieux ; les personnages, véritables archétypes, transformés en simples caricatures ; la forme hésitant entre le théâtre chanté et l’opéra parlé, qui renforce le caractère hybride de l’oeuvre ; ou encore le livret, dont la lourdeur contamine l’ensemble, peu fluide.
La partition morcelée, répétitive, plombée par l’absence de rythme et plongée dans la grisaille, plus d’une fois prévisible, comme une mécanique trop réglée, finit par lasser. Mireille Delunsch défend avec sincérité son personnage, mais cette Reine Marguerite aux préoccupations de midinette, poétesse à ses heures, frôle le ridicule dans son aria « Souplesse, souplesse » du dernier acte, au lieu de faire rire. Paul Gay (Le Roi Ignace) et Victor von Halem (Le Chambellan), peu servis musicalement jouent les utilités, tandis que Yann Beuron, aussi à l’aise en Prince Philippe que s’il devait exécuter un saut à l’élastique, en perd tous ses moyens : élocution confuse, jeu guindé, interprétation limitée à l’essentiel. Jolie prestation d’Hannah Esther Minutillo (Isabelle), entourée de Jason Bridges (Cyrille), Jean-Luc Ballestra (Cyprien), Guillaume Antoine (Innocent) et Marc Cossu-Leonian (Valentin).
A mille lieues du travail accompli lors des précédents spectacles, Luc Bondy, comme extérieur aux enjeux de ce texte et à la portée burlesque qui peut s’en dégager, se contente d’illustrer platement chaque scène, dans des décors imposants signés Richard Peduzzi, ne sachant que faire du personnage encombrant – et muet – d’Yvonne, joué sans réelle conviction par la comédienne Dörte Lyssewski. Transformée en pensum, la représentation rigoureusement dirigée par Sylvain Cambreling, à la tête d’un impeccable Klangforum Wien, s’achève, enfin, sur la mort d’Yvonne, prestement enfouie dans un poisson géant, à la satisfaction générale (et surtout la nôtre).