Rester ou ne pas rester après l’entracte. Telle est la question que l’on peut se poser à l’issue de la première partie de The Convert, un opéra créé en début de mois à Anvers et repris à Gand jusqu’au 4 juin, avant Rouen la saison prochaine.
Du Cœur converti (De Bekeerlinge), un roman écrit en néerlandais par Stefan Hertmans, Krystian Lada a tiré un livret en anglais, latin et araméen mis en musique par Wim Henderickx. « J’ai lu le livre de Stefan en décembre 2016, juste après sa parution. Je l’ai dévoré en deux jours et j’ai tout de suite su que cela allait être mon grand opéra. », explique le compositeur flamand dont la musique, influencée par Messiaen, Ligeti, Bartók ou encore Stravinsky, puise aussi son inspiration dans les traditions non occidentales. « Tous les sujets auxquels je réfléchissais en tant qu’homme et en tant qu’artiste s’y trouvaient : l’idée d’un amour impossible, la notion de la condition humaine. […] Le thème religieux, comment la beauté de la religion peut-elle se transformer en horreur absolue, en faisait aussi un livre d’une grande actualité pour moi. L’histoire se déroule au 11e siècle, mais elle parle d’aujourd’hui. »
Convertie au judaïsme par amour, Vigdis, une jeune Rouennaise, doit fuir sa ville natale pour se réfugier en Provence. L’assassinat de son époux et le rapt de ses enfants la contraindra à errer de Marseille au Caire, maltraitée, violée, remariée, condamnée au bûcher puis rachetée avant finalement de mourir d’épuisement, définitivement brisée.
© Annemie Augustijns
Wim Hendericck poursuit : « Le voyage émotionnel de Vigdis est le fil conducteur de cet opéra, et nous ne lui donnons pas vie simplement en la faisant chanter par la soprano Lore Binon. Nous suivons aussi Vigdis dans ses rêves, dans son monde intérieur, quand elle réfléchit. Avec tout l’orchestre, le chœur et le chœur d’enfants, le chœur de la ville et l’électronique dans la salle. Tout le registre y passe et c’est aussi nécessaire pour transmettre toute l’émotion. »
Et l’émotion passe effectivement, mais fugace, suscitée par le chef d’orchestre belge Koen Kessels à travers une riche matière polyphonique – la Chorale communautaire Madam Fortuna s’ajoute aux membres du Chœur d’enfants et des Chœurs d’Opera Ballet Vlaanderen –, à travers aussi des sonorités étranges engendrées par l’usage combiné des percussions, des instruments occidentaux, orientaux et électroniques au service d’une écriture qui dépasse le clivage tonal.
Ces qualités réunies suffisent-elles à former le « grand opéra » dont rêvait Wim Henderickx ? Chacun se forgera sa réponse à l’épreuve d’un spectacle d’une durée de trois heures, entracte compris qui a eu du mal à capter notre entière attention. D’où la question liminaire à laquelle nous avons personnellement répondu par l’affirmation : rester.
Rester car le principe de progression dramatique, consubstantiel à tout récit, qu’il soit mis en musique ou non, pouvait laisser espérer un sursaut narratif. Sauf à être passé à côté de l’essentiel – ce qui appartient au domaine du possible –, tel n’a malheureusement pas été le cas. Si le deuxième acte nous a paru moins long que le premier, ce n’est qu’en raison de sa durée moindre. The Convert s’apparente à une succession de tableaux, prétexte aux ruptures de structures musicales chères à Wim Henderickx, mais peu compatible avec notre idée de trame narrative, d’autant que la mise en scène de Hans Op de Beeck, en usant d’une symbolique touffue, ne facile pas le déchiffrage de l’intrigue. Quelle est par exemple la signification des loges d’artistes de part et d’autre de la structure sur laquelle défilent comme au bon vieux temps des toiles peintes ?
Alors rester, en dépit d’une sonorisation envahissante qui empêche d’apprécier les voix dans leur vérité, d’un volume sonore qui oscille entre mezzo forte et forte, d’une écriture vocale dépourvue de lyrisme – exception faite des pages chorales, et de quelques prières ; rester dans l’espoir d’une révélation seule capable de balayer nos réserves et nous convertir à une œuvre qui, par sa dimension spirituelle et son immobilisme théâtral, nous semble s’apparenter davantage à un oratorio qu’à un opéra. Las, le miracle n’a pas eu lieu.