Cette version concert de Werther pour baryton a connu une trajectoire contrastée compte tenu de la crise sanitaire. Programmé initialement en novembre dernier et finalement annulé au TCE, le spectacle coproduit avec l’opéra de Lyon a a été in fine maintenu dans la capitale des Gaules pour une captation en huis-clos mais sans Simon Keenlyside, déclaré forfait. Et c’est cet enregistrement dont nous a fait l’offrande France 3, hier soir, dans le sillage de la cérémonie des Victoires de la Musique classique.
La création de l’œuvre de Massenet est toute aussi tortueuse que le destin tragico-romantique de son héros. Originellement composé pour ténor, le compositeur remettra son drame lyrique sur le métier pour le baryton Victor Maurel. Au fil du temps, l’opéra a été souvent incarné par d’illustres ténors, une tessiture jugée davantage en adéquation avec l’image de romantique au cœur torturé. Ceci ne devrait toutefois pas faire ombrage à la transposition pour baryton, cette version plus intérieure et plus sobre dans la ligne de chant, n’en demeurant pas moins digne d’intérêt. Le concert capté à Lyon était donc une heureuse occasion de redécouvrir l’œuvre sous un jour nouveau.
Werther s’accomode toutefois mal d’une absence de mise en scène, le tragique appelant la parure d’une certaine dramaturgie scénique. Et on le ressent particulièrement ici, même si la distribution tente avec talent, par sa seule présence, de faire oublier l’absence de décors et de mise en situation. Soignant leur entrée et sortie, les chanteurs de par leur expressivité, les couleurs et nuances que tous savent mettre dans leur chant, confèrent indéniablement une vie intense aux personnages. Etienne Dupuis campe, en pleine possession de ses moyens vocaux, un Werther intériorisé mais néanmoins passionné. L’intérêt de cette version repose entièrement sur ses épaules, car à chaque phrase prononcée, c’est la voix d’un ténor que notre inconscient nous susurre à l’oreille. Il n’est pas facile d’aller à contre-courant de notre mémoire. Mais ceci est vite compensé par l’incarnation fine et subtile d’Etienne Dupuis, distillée avec sobriété mais aussi fragilité.
Stéphanie d’Oustrac, qui nous avait éblouis dans sa prise du rôle à Nancy en 2018, réitère ici la prouesse de faire cohabiter son tempérament de feu avec la personnalité très corseté de Charlotte. C’est avec brio qu’elle parvient à déployer toute sa palette vocale, dans un rôle hybride où certes des sopranos ont également pu s’illustrer, mais sans doute pas avec autant de personnalité. Et son talent de tragédienne s’exprime ici pleinement mais en toute sobriété et retenue, ce qui confère une réelle émotion au personnage. Infiniment digne, mais en même temps séductrice, elle fait sentir la lutte intérieure d’une Charlotte écartelée entre son devoir et la passion qui la submerge.
Le reste de la distribution n’est pas en reste. Avec sa voix légère et sa grâce touchante la soprano canadienne Florie Valiquette en Sophie incarne avec conviction ce rôle de jeune fille innocente et joyeuse qui découvre peu à peu la réalité. La voix est claire, souple, enlevée, mais sans excès comme on l’a trop souvent entendu, les interprètes s’abandonnant aux rires artificiels et tapageurs d’une fausse désinvolture. L’Albert de Jean-Sébastien Bou attire immédiatement la sympathie avec son bel air « Elle m’aime, elle pense à moi » chanté avec un art consommé des nuances. C’est avec mesure et talent qu’il donne corps à la bonté et à la loyauté d’un personnage qui se tient au seuil du drame. L’élégant baryton-basse Marc Barrard peint tout en finesse la figure paternelle du Bailli. Par touches légères il sait exprimer toute la palette des humeurs du personnage, à la fois autoritaire, bougon, bienveillant, et affectueux. Hoël Troadec et Louis de Lavignère respectivement en Schmidt et Johann forment un duo de comparses réjouissant sans jamais tomber dans l’écueil du cabotinage trop souvent vu et entendu.
Dans Werther, la musique est le narrateur d’un drame qui couve sous une parure romantique. Les nombreux motifs récurrents font vivre musicalement personnages et situations. Et il faut donc une direction sans faille sachant faire de l’orchestre un acteur à part entière de l’histoire. Daniele Rustioni a beau opter pour une gestuelle expressive et une posture bondissante au pupitre, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Lyon, il peine toutefois à insuffler l’énergie et la puissance narrative indispensables pour faire jaillir toute les nuances d’une partition érigeant la musique en protagoniste flamboyant du drame. Quant à la maîtrise des jeunes voix de l’Opéra de Lyon, s’exprimant dans la pénombre obscure du parterre de l’Opéra de Lyon, elle habite la partition avec une conviction puissamment lyrique. Une version plus qu’intéressante, avec des chanteurs impliqués mais sans le souffle magique, la brise légère du printemps, une fraîcheur qui aurait pu nous faire oublier le cadre sombre et aride d’une salle sans public.