C’est dans un décor unique (de Klaus Grünberg), une salle tapissée intégralement de bois clair, que se déroule la représentation de Werther à l’Opéra de Rhin. Comme dans beaucoup de petites surfaces optimisées, la salle regorge de rangements pratiques, placards, tiroirs, d’où sortent parfois des personnages et des ouvertures s’y découpent pour laisser apercevoir la lune, la neige ou encore la Terre (!) dans la scène finale. Cet écrin illustre bien l’enfermement des personnages, dans leur névrose et leur destin, et les changements de lieu et d’heure sont subtilement illustrés par les éclairages.
La production de Tatjana Gürbaca, importée de Zürich, étonne parfois, sans toujours convaincre. On retient quelques bonnes idées, mais qui ne renouvèlent pas foncièrement la lecture, plutôt classique, de l’œuvre. Le monde où vit Charlotte est ainsi loin d’être accueillant : les femmes sont réduites aux tâches ménagères et les hommes sont, au mieux, comme Albert, confit dans ses certitudes et, au pire, plein de morgue comme les compères Schmidt et Johann. Habituellement représentés comme de sympathiques compagnons de beuverie, ces derniers ne sont pas ici d’inoffensifs soiffards, faisant les poches du Bailli et houspillant les enfants au premier acte, puis au, deuxième acte, torturant des petits vieux sans défense. Une autre bonne idée est la présence d’un couple de vieillards dans la scène finale, figurant ce qu’auraient pu devenir Werther et Charlotte si le destin n’avait contrarié leur passion. En revanche, on reste plus circonspects et interrogateurs sur le sens de la présence de saltimbanques dans la scène au clair de lune ou de ces fils tirés par les amants au travers de la scène au troisième acte. On note toutefois une attention certaine aux mouvements scéniques, même si on n’échappe pas totalement aux lieux communs : n’est-il pas possible d’illustrer le désespoir autrement qu’en massacrant des objets ? Ce sont ici d’innocentes boules de Noël qui en font les frais.
Les interprètes (très majoritairement francophones) font un effort louable de diction et c’est payant : sauf à quelques occasions pour le rôle-titre, il n’y aucun besoin des surtitres, le texte coule sans effort.
Les chanteurs ont visiblement été choisis en partie pour leur adéquation physique avec leur rôle. On oublie ainsi vite quelques notes fragiles pour profiter de la bonhomie parfaite de Kristian Paul (Le Bailli). De même rarement aura-t-on vu Sophie aussi juvénile que Jennifer Courcier. La jeune soprano française se fond parmi les autres enfants et pourrait presque avoir l’âge du rôle, soit 15 ans : la voix est à l’unisson, charmante, lumineuse, sans aucune astringence. Tout juste regrettera-t-on que ses dernières répliques disparaissent dans le final, perdues dans l’arrière scène. L’Albert de Régis Mengus, à l’émission quelque peu forcée, marque moins que le duo de caractère Loïc Félix (Schmidt) et Jean-Gabriel Saint-Martin (Johann). On souhaiterait d’ailleurs entendre l’autorité et les tons ambrés de ce dernier dans un rôle plus consistant.
Le mezzo plutôt clair d’Anaïk Morel l’éloigne des interprètes plus matures régulièrement distribuées dans le rôle, au bénéfice de la fraicheur et de la crédibilité du personnage. On sent également un grand souci du texte et des nuances. Pourtant sa Charlotte n’emporte pas totalement. Ce n’est pas une question de moyens (la voix est bien projetée et égale sur toute la tessiture) mais plutôt un excès de retenue, comme si la chanteuse avait eu peur d’en faire trop et de tomber dans le mauvais goût. Nul doute qu’elle gagnera à fréquenter un rôle pour lequel elle a toutes les qualités.
La direction d’Ariane Matiakh, à la tête de l’Orchestre symphonique de Mulhouse, laisse un peu la même impression. Les pupitres sont parfaitement en place, les dynamiques sont bien dosées, mais la scène au clair de lune manque de poésie et, peut-être par pudeur, il manque une urgence désespérée, du pathos dans cette lecture un peu sage.
Pour retrouver le « Sturm und Drang », c’est vers le Werther de Massimo Giordano qu’il faut se tourner. Pourtant sa première scène « Je ne sais si je veille… Ô nature » le cueille à froid : la voix sonne engorgée, les aigus sont tirés, et on craint l’accident qui ne survient pourtant pas. La voix se chauffant, les aigus se libèrent, émis toutefois en force. C’est surtout l’interprétation qui surprend et séduit : nous n’avions pas le souvenir d’une telle probité du style, d’un tel soin de la ligne chez le ténor italien. Les mezza voce sont d’une douceur caressante, contrastant avec l’engagement scénique brûlant. On pourra regretter parfois une pointe d’accent ou une diction moins précise que ses partenaires, mais au final c’est bien lui qui dans « Pourquoi me réveiller » ou dans une mort quasi murmurée fait vibrer le romantisme de l’œuvre.
Un mot enfin pour les enfants, membres de la Maîtrise de l’Opéra National de Strasbourg, facétieux et très bien chantants, ils sont le parfait contrepoint lumineux au drame des amants maudits.