Comme le notait Christophe Rizoud à propos de la reprise de la production de Werther de Benoît Jacquot en 2014 avec Roberto Alagna, il faut du cran pour passer après Jonas Kaufmann. Le ténor allemand a laissé une trace indélébile pour ceux qui ont eu la chance d’assister à la création du spectacle à Paris en 2010.
Piotr Beczala s’en sort plutôt bien au jeu des comparaisons dans le rôle-titre, jouant toutefois d’atouts différents. Il a en effet pour lui, qualités ô combien indispensables dans l’opéra français, une diction précise et une prononciation châtiée qui rendent les surtitres inutiles. Le timbre plutôt clair, qui n’est pas sans évoquer par moments Nicolai Gedda, a des éclats minéraux, loin des accents fauves de Jonas Kaufmann. Le ténor polonais peine cependant à totalement emporter l’adhésion dans les deux premiers actes, semblant comme corseté : la voix manque de rayonnement et l’aigu peine à s’épanouir, au détriment des accents romantiques du personnage. Son « Un autre est son époux » à l’acte 2 laisse ainsi de marbre. Les choses s’arrangent heureusement à compter du troisième acte avec un Lied d’Ossian enfin fiévreux et une mort émouvante, tout en retenue.
Sa Charlotte, Elīna Garanča, ne manque pas de tempérament, loin s’en faut. Voix homogène au timbre charnu mais sans lourdeur, la mezzo lettone dispose d’une puissance confortable, dont elle abuse parfois. Sa Charlotte aurait pu être mémorable si ce n’est que l’on ne comprend pas un traitre mot de ce qu’elle chante. Les consonnes disparaissent laissant place à des sonorités luxuriantes mais dépourvues de sens. Faut-il y voir un lien ? Le personnage a par ailleurs du mal à exister, hésitant entre minauderie, pruderie bourgeoise et passion brulante. De façon générale d’ailleurs, la mise en scène de Benoît Jacquot nous a semblé moins précise, la direction d’acteurs moins bien réglée qu’en 2010. Restent cependant toujours les beaux décors, classiques, de Charles Edwards sublimés par les éclairages d’André Diot ; s’il fallait n’en retenir qu’un ce serait sûrement la chambre de Werther au dernier acte qui grossit dans la tempête de neige, dans un travelling avant magique.
Si sa sœur, Elena Tsallagova n’est pas totalement exemplaire en matière de diction ou de prononciation (Sophie veut ainsi danser le premier « menouet » avec Werther), on tombe immédiatement sous le charme de son chant rayonnant. La soprano parvient en effet à combiner la fraîcheur qui sied au personnage à un timbre épanoui, sans aucune acidité. Elle s’offre même une salve d’applaudissements impromptue au deuxième acte par des spectateurs subjugués par ses couplets joyeux.
Stéphane Degout semble d’abord mal à l’aise en Albert, la projection limitée et la diction quelque peu brumeuse. Ce sentiment s’estompe heureusement et l’on retrouve rapidement les qualités de diseur et de timbre du baryton. Paul Gay (le Bailli), Lionel Lhote (Johann) et Rodolphe Briand (Schmidt) enfin partagent le même souci de l’intelligibilité du texte, le premier campant un bailli mieux chantant et moins grommelant que souvent.
Michel Plasson qui avait dirigé les deux précédentes reprises, et qui était initialement annoncé, a dû renoncer et c’est Giacomo Sagripanti qui l’a remplacé, dès les répétitions. Rude tâche pour le chef italien qui nous avait enthousiasmé dans Rossini à Pesaro (il dirige d’ailleurs la reprise du Barbier de Séville dans ces mêmes murs à partir du 2 février) que de succéder à une icône. On note dès le prélude les tempi plus allants qui ont pour effet de priver la scène au clair de lune d’une part de sa magie. Giacomo Sagripanti galvanise cependant l’Orchestre de l’Opéra national de Paris aux belles couleurs livrant une lecture peut-être moins « française » que son illustre confrère mais non moins puissante et cohérente du chef d’œuvre de Massenet.