On avait vu Lohengrin dans les brumes nordiques (splendide mise en scène de Werner Herzog à Bayreuth en 1987) ou dans une ambiance quasi méditerranéenne (Antoine Bourseiller avec des décors de Pizzi à l’Opéra de Nancy en 1994), avec cette production de l’Opernhaus de Zürich, nous sommes entre les deux, précisément en Bavière dans une unique pièce, sorte de taverne aux murs très dénudés (aucun élément de décor si ce n’est tables et chaises et un petit tableau avec deux cœurs flamboyants).
Cette esthétique très naïve semble incongrue sur le papier ou en photos (et à vrai dire, dans les premières minutes). Pourtant, il faut bien admettre que tout finit par fonctionner dans cette atmosphère villageoise où tout se partage mais aussi où tout se sait (comme dans Jenufa) et où les bonheurs mais aussi les rancœurs sont exacerbés. Car si l’on est emporté par cette vision atypique, c’est aussi et surtout grâce à la formidable direction d’acteurs d’Andreas Homoki. On aura ainsi rarement été autant touché par les revirements que subit Elsa à l’acte II et si le couple Telramund-Ortrud frise parfois la caricature (surtout elle, en matrone presque vulgaire), on est ébahi par la réussite des scènes chorales, magnifiquement réalisées et d’une incroyable justesse scénique.
Quelle vie, quelle intensité dans ce huis-clos rendu encore plus étouffant par l’arrière-fond folklorique…( comme dans Jenufa, toujours !). Ce sentiment est également dû à l’extraordinaire direction de Simone Young qui enflamme le Philharmonia Zürich, métamorphosé, et répand l’incendie sur le plateau. Et à côté de cela, que de beautés élégiaques dans le prélude du premier acte, magnifiquement ciselé, dans les scènes de tendresse entre Elsa et Lohengrin, dans le récit final et les adieux, déchirants, de Lohengrin ! Du très grand art.
© Monika Rittershaus
Du très grand art, on en a aussi avec un Klaus Florian Vogt au sommet de ses moyens et offrant le prototype du Lohengrin « désincarné » avec une voix éthérée (aux antipodes d’un Jonas Kaufman par exemple, autre grand titulaire actuel du rôle). Dans le genre, on est proche de la perfection, avec un chant impeccable, une prononciation superlative et une incarnation réussie. On nous permettra cependant de ne pas goûter un timbre que l’on peut trouver mièvre… Complètement à l’opposé est le soprano charnu d’Emma Bell (chantant sur le côté de la scène tandis que la titulaire du rôle, Elza van den Heever, malade, assure courageusement la partie scénique) dont on loue la beauté et la puissance de l’organe (avec des aigus somptueux), donnant à son personnage une grande intensité. Intense, l’Ortrud de Petra Lang l’est tout autant, avec un aplomb impressionnant. Elle assure crânement la tessiture meurtrière du rôle et transcende une voix assez commune. Martin Gantner affiche quant à lui un timbre fort clair, ce qui surprend pour un rôle si noir mais la beauté de la voix et la force de l’incarnation saisissent (bien qu’Homoki le fasse se promener en caleçon quasiment toute la soirée). Il n’est qu’à souligner l’excellence des seconds rôles (somptueux Heinrich de Christof Fischesser notamment) et celle des (fort nombreux !) chœurs pour mesurer l’extrême soin dont cette production a fait l’objet et qui sera à revoir en juillet prochain… si vous aimez la Bavière !