Dans la Max-Littmann-Saal de Bad Kissingen, vaste salle de concert tapissée de bois de cerisier, elle n’est qu’une parenthèse vocale au sein d’un programme instrumental. Avant la quatrième de Brahms et après un Concerto pour clarinette d’une élégance toute viennoise joué sans un pli par Sabine Meyer, Waltraud Meier interprète les Quatre Derniers Lieder. Amusante homonymie entre les noms des deux artistes invitées, qui se prêterait à jeux de mots si l’élégante sévérité du lieu ne rendait la plaisanterie déplacée.
Composé en 1948, le dernier cycle de mélodies de Richard Strauss est souvent présenté comme une ultime déclaration d’amour à la voix de soprano, ce que – ironie de la soirée –, Waltraud Meier n’a jamais vraiment été. Sa vocalité se situe plutôt dans une tessiture incertaine à l’image de Kundry qui, à Bayreuth en 1983, lança sa carrière internationale. Isolde dix ans plus tard, renforçait l’ambiguïté. Si son palmarès, glorieux, compte aussi Venus, Eboli, Sieglinde, Amneris, jusqu’à Clytemnestre dans la production désormais historique de Patrice Chéreau à Aix-en-Provence en 2013, il omet les héroïnes straussiennes dont les Vier lezte Lieder se veulent la sublime synthèse : Salome, La Maréchale, Ariane, Arabella, Daphné… Il n’est pas étonnant alors que, tout au long du cycle, de nombreuses notes prennent en défaut la projection de la voix, paradoxalement dans les registres grave et médian quand l’aigu s’épanouit, radieux encore, non sans quelques duretés.
Mais l’intérêt de cet intermède straussien, entre Mozart et Brahms, ne réside pas dans l’interprétation purement musicale d’une œuvre que la direction stressée de Jacek Kaspszyk, à la tête d’un Nationalphilharmonie Warschau sans envergure, nous aidera à vite oublier. Non, ce qui fait le prix de l’instant, c’est la présence, toujours magnétique, de Waltraud Meier, l’image prégnante de la femme, le visage saillant, le port de tête altier, la silhouette sanglée dans une robe noire de velours qui, recouvrant les épaules, souligne une gorge d’albâtre. Waltraud Meier balançant doucement le corps comme si la musique en avait pris possession – Isolde encore – les yeux mi-clos ou au contraire le regard fixe, presque hébété. Waltraud Meier en un rictus amer, caressant ou cravachant le mot, poursuivant derrière ces consonnes chères à la langue allemande une implacable quête de sens. Waltraud Meier interpellée elle aussi sans doute par cet adieu à la vie serein, par cette page qui se tourne si doucement qu’on ne s’aperçoit pas qu’elle marque la fin du livre. Waltraud Meier soudain figée, comme pétrifiée lorsqu’une fois la dernière note de la partition éteinte, plusieurs secondes interminables – dix, vingt, trente, soixante, impossible de compter mais rarement silence n’aura semblé aussi long – prolongent la musique avant que la salle ne se répande en applaudissements. Et ça, on ne l’oubliera pas.