I vespri siciliani revient sur la scène de la Scala après trois décennies d’absence – 1989, Riccardo Muti dirigeait Chris Merrit, Cheryl Studer et Giorgio Zancanaro dans une mise en scène de Pier Luigi Pizzi. À Milan, on ne plaisante pas avec Verdi. Les smokings, les strass et les talons aiguille sont à la parade ; les loggionisti affûtent leurs armes. Quelques huées émailleront la soirée sans que l’on en comprenne toujours la raison. Une représentation d’opéra ne surgit pas telle Athéna casquée de la tête de Jupiter, prête à affronter l’avis du public et de la critique. Il faut souvent plus que la série de répétitions prévue pour atteindre la vitesse de croisière. Loin de l’aboutissement attendu, la première ne constitue qu’une étape intermédiaire, la chrysalide d’un papillon appelé à voler ensuite de ses propres ailes. Occasion est encore donnée de le vérifier dès l’ouverture de l’opéra – une des plus imposantes composée par Verdi –, conduite d’une main de fer par Fabio Luisi. De l’électricité, de l’agressivité même dans une approche risorgimentale que le caractère belliqueux de l’œuvre légitime ; un sens du rythme et des contrastes perceptible dans l’enchaînement des différents thèmes ; puis au fil des actes l’attention portée à l’équilibre des volumes. L’orchestre – excellent – ne s’impose jamais au détriment des voix. L’épanchement lyrique, l’émotion contenue dans certaines phrases musicales viendront plus tard, n’en doutons pas, tout comme le chœur d’abord dissocié entre Français et Siciliens trouve ses marques une fois ses pupitres réunis dans des ensembles monumentaux dont il assure la solidité et la stabilité.
© Brescia/Amisano – Teatro alla Scala
Jeune baryton à l’aube d’une carrière prodigue, Luigi Micheletti manque inévitablement de maturité, artistique et vocale, pour parvenir à dessiner de Montforte le portrait ambivalent. Le tyran souffre d’un défaut d’autorité et le père, privé de relief, semble peu crédible Que de promesses cependant dans ce chant déjà rompu aux assauts de l’écriture verdienne même si encore fragile.
De même, Simon Lim suscitera encore plus d’intérêt lorsqu’il aura ajouté à sa voix de basse longue et vigoureuse le surcroît d’expression nécessaire pour comprendre les motivations vengeresses de Procida.
Confrontée à un rôle qui se réclame de plusieurs écoles de chant, Marina Rebeka peine à concilier les différents profils vocaux d’Helena. Le soprano dramatique, sombre et véhément, s’efface devant la belcantiste, capable d’agilité – le boléro – et de notes posées sur le souffle, immatérielles, d’une suffocante douceur – la romance « Arrigo ! ah ! parli a un core » et sa vertigineuse descente chromatique. L’assurance acquise au fur et à mesure de la représentation, combinée à une moindre sollicitation du registre grave, hisse l’ultime trio au niveau d’intensité que l’on aurait attendu dès les premiers actes.
Pour l’avoir chanté en italien à Naples et Berlin, et même en français à Turin et Madrid, Piero Pretti est familier du rôle d’Arrigo. Il en maîtrise le cantabile autant que l’éclat, d’une voix à l’égalité confondante. Aucune rupture de registre n’est perceptible sur un ambitus qui culmine au contre ré. Looser, oui puisque le livret l’exige mais de la race des seigneurs en dépit de costumes peu flatteurs. Les représentations suivantes devraient confirmer l’aisance avec laquelle le ténor domine une partition pourtant difficile, prouvant qu’il est aujourd’hui dans sa catégorie un des meilleurs interprètes du grand répertoire italien.
Peu de chance en revanche pour que la mise en scène d’Hugo de Ana gagne en efficacité et en pertinence avec le temps. Articulée autour de passerelles métalliques, cernée par les armes et les canons, l’approche littérale se fond dans une grisaille d’un uniforme ennui. Les ballets ont été coupés. L’absence de caractérisation des personnages empêche de comprendre les enjeux dramatiques d’un livret déjà desservi par de nombreuses faiblesses. Les seconds rôles ne peuvent compter que sur leur voix, heureusement robuste, pour exister. Citons pour le moins Valentina Pluzhnikova (Ninetta), soliste de l’Accademia Teatro alla Scala dont la présence et l’évidence des quelques interventions laissent augurer d’un brillant avenir. La transposition de l’action durant la seconde guerre mondiale n’ajoute rien au propos, si ce n’est peut-être une référence à un certain néoréalisme dont on cherche en vain le bien-fondé autre qu’esthétique. La bronca qui accueille le metteur en scène et son équipe au tomber de rideau sanctionne l’absence de théâtre – un comble chez Verdi !