Proposer un autre regard sur la musique, ainsi que le promet l’édition 2019 du Festival de Royaumont, c’est aussi explorer des territoires et des musiciens méconnus, tel Louis Antoine Lefebvre, né à Péronne en Picardie vers 1700 et mort à La Ferté-sous-Jouarre en 1763. Bien que titulaire de l’orgue de Saint-Louis en l’Ile, ce compositeur oublié s’est d’abord préoccupé de musique vocale à travers l’écriture de motets, d’airs ou de cantatille, un genre qui est à la cantate ce que la nouvelle est au roman. Apparue aux alentours des années 1730, cet abrégé de pièce musicale, composé de deux ou trois airs entrecoupés d’un ou deux récitatifs, n’en était pas moins virtuose et dramatique. Il ouvrait aux musiciens aventureux de nouveaux champs d’expérimentation, à la manière des prédelles dans les retables primitifs italiens. L’Italie d’ailleurs transparaît derrière les airs de tempête dont l’agitation secoue souvent les partitions en leur cœur. Les premières cantates – comprendre, pour les Encyclopédistes un « petit poème fait pour être mis en musique, contenant le récit d’une action galante ou héroïque » – déplurent précisément en raison de leur style italianisant. Campra, Clérambault ou Montéclair surent convertir le public français à ces opéras miniatures.
© Festival de Royaumont
C’est là l’un des intérêts de ce programme enregistré chez Alpha et proposé à l’heure de l’apéritif dans le réfectoire des convers : donner à comprendre la naissance et l’évolution d’un genre. Il n’est pas certain que la comparaison entre les cantatilles de Lefebvre et les cantates de Clérambault et Montéclair joue en faveur de ces derniers. Encore faut-il être à même d’en exprimer l’essence. Le Consort, auquel on doit l’exhumation de Lefebvre, sait retrouver les codes d’un genre aujourd’hui négligé. Au clavecin – copie d’un instrument de 1732 conservé au Musée de la Musique de Paris –, Justin Taylor guide les trois autres musiciens – violonistes et gambiste –, tous connectés par le regard et par l’esprit insufflé à cette musique. Une approche où la beauté du son n’est jamais sacrifiée sur l’autel de l’expression — et inversement –, où la musicalité ne tourne pas à vide, où la douceur se substitue à la verdeur parfois associée au baroque, où chacun des affects en jeu ne plie pas sous le poids d’une quelconque convention mais bat à sa juste pulsation.
Nouvelle Pomone en cette Abbaye de Royaumont aux multiples jardins et potagers, Eva Zaïcik évolue dans ce répertoire avec le naturel et le maintien d’une reine dans les salons de Trianon. La pureté d’émission sied à la sobriété instrumentale et au tracé longiligne de la mélodie. La diction est claire. Aucune rupture ne vient affecter le cours du récit, sur toute la tessiture. Mais ces considérations techniques n’ont que peu d’importance au regard de la vérité interprétative. Ce mezzo-soprano aux reflets changeants sait donner vie à ces vers galants peuplés d’ombres fugitives. Le geste gracieux et explicite de bras mi-dénudés s’ajoute au chant pour toucher à l’émotion. Deux Purcell en bis – « Strike the viol » et la mort de Didon – ne viennent pas rompre le charme mais, au contraire, prolongent l’enchantement.