A l’occasion de la rediffusion en streaming de Vanessa (visible du 14 au 21 juin 2020), nous vous proposons de relire ci-après le compte rendu de la représentation du 05 août 2018.
En présentant Vanessa pour fêter le soixantième anniversaire de sa création mondiale, le festival de Glyndebourne offre à Samuel Barber le plus beau cadeau qui soit. Cet adoubement posthume accordé par une institution de réputation internationale est d’autant plus important que le spectacle proposé est une parfaite réussite. Ainsi porté à bout de bras, après son passage à Wexford l’an dernier, le premier des opéras de Barber restera-t-il encore longtemps ignoré des villes qui n’ont toujours pas jugé bon de le programmer ? Au nom de quel snobisme ? A l’heure où les opéras de Bernard Herrmann sont mis à l’affiche (Wuthering Heights à Nancy en mai 2019), plus n’est besoin d’un alibi pour jouer des œuvres qui représentent l’art lyrique du XXe siècle aussi dignement qu’un Britten ou un Henze. Contrairement à celle de son compagnon et librettiste Menotti, la musique écrite par Barber pour Vanessa, bien que nullement avant-gardiste, ne succombe jamais aux sirènes passéistes : on n’entend pas ici du sous-Puccini, mais une partition personnelle, portée à la fois par un solide souffle mélodique et par une certaine audace qui ne craint pas la dissonance « raisonnable » quand la situation le justifie. Faut-il mettre au crédit du seul Jakub Hrůša l’efficacité de cet opéra riche en superbes intermèdes orchestraux ? Certes le London Philharmonic Orchestra semble au mieux de sa forme, mais le mérite doit bien en revenir aussi au compositeur…
Autre responsable du succès de ce spectacle, Keith Warner, dont le travail à l’Opéra du Rhin sur Tannhäuser ou Le Roi Arthus avait laissé un souvenir plus que mitigé. Pour sa première production à Glyndebourne, le metteur en scène britannique réussit un petit miracle d’intelligence et de goût. De goût, parce qu’avec la complicité de son équipe artistique, il situe l’action dans un monde de sophistication et d’élégance qui rappellent le silver screen, le cinéma de l’âge d’or hollywoodien, en transposant l’intrigue dans les années 1950 sublimées par Douglas Sirk. D’intelligence, parce qu’il parvient, sans jamais trahir l’œuvre, à dépasser le mélo concocté par Menotti pour suggérer des prolongements inattendus : jouant à fond la carte de la rivalité/ressemblance des deux femmes qui se disputent le bel Anatol, Keith Warner opte pour un décor constitué d’immenses miroirs sans tain à cadre argenté, où une action imaginée ou remémorée se superpose à l’action vécue sur le devant de la scène. Parmi les non-dits ici plus ou moins explicités, l’ombre de l’inceste passe même, quand une scène d’accouchement pendant l’ouverture laisse penser que Vanessa a elle-même eu un enfant d’Anatol père, comme Erika en aura un d’Anatol fils. Les souvenirs du vieux docteur favorisent un feuilletage temporel, entre les années 1910 (jeunesse du docteur), 1930 (jeunesse de Vanessa) et 1950 (temps supposé de l’action). Et le pays « nordique » voulu par le livret prend un petit air d’Etats-Unis d’Amérique, à travers quelques allusions au racisme ordinaire.
© Tristram Kenton
Quant à la distribution vocale, elle réserve quelques surprises qui vont peut-être, elles aussi, dans le sens d’une plus grande adhésion à l’œuvre. En confiant le rôle-titre à Emma Bell, le festival de Glyndebourne a choisi une voix sombre, à l’aigu sans grande séduction, mais ce qui pourrait ailleurs passer pour des défauts contribue ici à rendre Vanessa moins superficielle, plus humaine, plus proche de sa nièce tant dans les couleurs vocales que dans l’expression de la douleur. Scéniquement, transfigurée par sa perruque blonde et ses robes d’une élégance très fifties, la soprano britannique est digne de Lana Turner dans Mirage de la vie. La mezzo française Virginie Verrez est non seulement capable d’énoncer avec une diction parfaite les noms de plats dans la toute première scène (« Potage crème aux perles », « Ecrevisses à la bordelaise », etc.), mais elle sait aussi conférer toute sa force à un personnage dont on prétend qu’il poussa Maria Callas à renoncer à celui de Vanessa : Erika prenait trop de place dans l’œuvre, selon la Divine. Remplaçant Doris Soffel initialement annoncée, Rosalind Plowright a fort peu à chanter mais parvient à faire accepter sa métamorphose en mezzo. De retour après son Belmonte et son Alfredo, Edgaras Montvidas trouve en Anatol un personnage qui lui va comme un gant, et les rares moments où le ténor force un peu la voix, retombant dans un travers qu’on a déjà pu lui reprocher, servent finalement bien cet anti-héros hésitant entre la tante et la nièce. Donnie Ray Albert est un très savoureux docteur, et même le tout jeune William Thomas réussit à caractériser le Majordome durant la très courte scène où il se révèle fétichiste des fourrures. On espère vivement qu’un DVD viendra immortaliser ce magnifique spectacle et combler une lacune de la vidéographie.
En présentant Vanessa pour fêter le soixantième anniversaire de sa création mondiale, le festival de Glyndebourne offre à Samuel Barber le plus beau cadeau qui soit. Cet adoubement posthume accordé par une institution de réputation internationale est d’autant plus important que le spectacle proposé est une parfaite réussite. Ainsi porté à bout de bras, après son passage à Wexford l’an dernier, le premier des opéras de Barber restera-t-il encore longtemps ignoré des villes qui n’ont toujours pas jugé bon de le programmer ? Au nom de quel snobisme ? A l’heure où les opéras de Bernard Herrmann sont mis à l’affiche (Wuthering Heights à Nancy en mai 2019), plus n’est besoin d’un alibi pour jouer des œuvres qui représentent l’art lyrique du XXe siècle aussi dignement qu’un Britten ou un Henze. Contrairement à celle de son compagnon et librettiste Menotti, la musique écrite par Barber pour Vanessa, bien que nullement avant-gardiste, ne succombe jamais aux sirènes passéistes : on n’entend pas ici du sous-Puccini, mais une partition personnelle, portée à la fois par un solide souffle mélodique et par une certaine audace qui ne craint pas la dissonance « raisonnable » quand la situation le justifie. Faut-il mettre au crédit du seul Jakub Hrůša l’efficacité de cet opéra riche en superbes intermèdes orchestraux ? Certes le London Philharmonic Orchestra semble au mieux de sa forme, mais le mérite doit bien en revenir aussi au compositeur…
Autre responsable du succès de ce spectacle, Keith Warner, dont le travail à l’Opéra du Rhin sur Tannhäuser ou Le Roi Arthus avait laissé un souvenir plus que mitigé. Pour sa première production à Glyndebourne, le metteur en scène britannique réussit un petit miracle d’intelligence et de goût. De goût, parce qu’avec la complicité de son équipe artistique, il situe l’action dans un monde de sophistication et d’élégance qui rappellent le silver screen, le cinéma de l’âge d’or hollywoodien, en transposant l’intrigue dans les années 1950 sublimées par Douglas Sirk. D’intelligence, parce qu’il parvient, sans jamais trahir l’œuvre, à dépasser le mélo concocté par Menotti pour suggérer des prolongements inattendus : jouant à fond la carte de la rivalité/ressemblance des deux femmes qui se disputent le bel Anatol, Keith Warner opte pour un décor constitué d’immenses miroirs sans tain à cadre argenté, où une action imaginée ou remémorée se superpose à l’action vécue sur le devant de la scène. Parmi les non-dits ici plus ou moins explicités, l’ombre de l’inceste passe même, quand une scène d’accouchement pendant l’ouverture laisse penser que Vanessa a elle-même eu un enfant d’Anatol père, comme Erika en aura un d’Anatol fils. Les souvenirs du vieux docteur favorisent un feuilletage temporel, entre les années 1910 (jeunesse du docteur), 1930 (jeunesse de Vanessa) et 1950 (temps supposé de l’action). Et le pays « nordique » voulu par le livret prend un petit air d’Etats-Unis d’Amérique, à travers quelques allusions au racisme ordinaire.
© Tristram Kenton
Quant à la distribution vocale, elle réserve quelques surprises qui vont peut-être, elles aussi, dans le sens d’une plus grande adhésion à l’œuvre. En confiant le rôle-titre à Emma Bell, le festival de Glyndebourne a choisi une voix sombre, à l’aigu sans grande séduction, mais ce qui pourrait ailleurs passer pour des défauts contribue ici à rendre Vanessa moins superficielle, plus humaine, plus proche de sa nièce tant dans les couleurs vocales que dans l’expression de la douleur. Scéniquement, transfigurée par sa perruque blonde et ses robes d’une élégance très fifties, la soprano britannique est digne de Lana Turner dans Mirage de la vie. La mezzo française Virginie Verrez est non seulement capable d’énoncer avec une diction parfaite les noms de plats dans la toute première scène (« Potage crème aux perles », « Ecrevisses à la bordelaise », etc.), mais elle sait aussi conférer toute sa force à un personnage dont on prétend qu’il poussa Maria Callas à renoncer à celui de Vanessa : Erika prenait trop de place dans l’œuvre, selon la Divine. Remplaçant Doris Soffel initialement annoncée, Rosalind Plowright a fort peu à chanter mais parvient à faire accepter sa métamorphose en mezzo. De retour après son Belmonte et son Alfredo, Edgaras Montvidas trouve en Anatol un personnage qui lui va comme un gant, et les rares moments où le ténor force un peu la voix, retombant dans un travers qu’on a déjà pu lui reprocher, servent finalement bien cet anti-héros hésitant entre la tante et la nièce. Donnie Ray Albert est un très savoureux docteur, et même le tout jeune William Thomas réussit à caractériser le Majordome durant la très courte scène où il se révèle fétichiste des fourrures. On espère vivement qu’un DVD viendra immortaliser ce magnifique spectacle et combler une lacune de la vidéographie.