Quand le Staatsoper de Vienne mise souvent sur l’éclat de distributions prestigieuses pour dépoussiérer de vieilles mises en scène, le Theater an der Wien, lui, cherche à promouvoir des productions modernes. Sans toujours parvenir à faire oublier des chanteurs plus contestables. Pour le grand répertoire, où la concurrence est rude, à quelques encablures, l’innovation s’impose : de là, l’idée de confier ces nouveaux Contes d’Hoffmann au réalisateur du mythique « Exorciste », William Friedkin. Ici Olympia ne prédit la mort de personne, et le Docteur Miracle n’est pas habillé en prêtre. A peine l’esthétique irrémédiablement glauque de la scénographie, avec une prédilection pour les couleurs sombres, les éclairages verdâtres et l’apparition de marionnettes cauchemardesques, rappellera-t-elle aux amateurs le parcours du metteur en scène. Sous le vernis écaillé des avatars grand-guignolesques, rien qui ne signale la patte d’un nom si prestigieux : ni le décor, si hétéroclite qu’il finit par ressembler au bric-à-brac bon marché que doivent se résigner à monter des scènes en mal de financement, ni surtout la direction d’acteur, incroyablement conventionnelle.
Simples silhouettes, privés de chair, d’ombre, de consistance et d’ambiguïtés, les personnages ne peuvent plus compter que sur les voix pour exister pleinement. Mais celles-ci nous apportent des plaisirs pour le moins mitigés. Au sommet, on placera l’Oympia virtuose de Mari Eriksmoen, qui se taille un franc succès avec ses « oiseaux dans la charmille », la Giulietta plus que sexy d’Angel Blue, et les quatre incarnations du mal, défendues par Aris Argiris avec vaillance, mais sans la moindre intelligibilité dans la prononciation du français.
Défaut généralisé, que l’on retrouve aussi chez Kurt Streit, Roxana Constantinescu et Juanita Lascarro. Mais ceux-là doivent aussi composer avec des moyens surévalués : le premier, avec sa voix blanche et ses aigus sans vibrato, chante l’Hoffmann d’Offenbach comme il chanterait l’Orphée ou l’Ulysse de Monteverdi – il faut dire que son instrument, sa technique et sa culture musicale ne lui permettent pas de faire autrement. Les secondes ne cachent pas les efforts colossaux que leur impose la tentative de grossir leurs formats mozartiens. L’essai se signale, là encore, par beaucoup de sincérité et de sensibilité, sans que le résultat final soit objectivement à la hauteur de ce que l’on espérait entendre sur une scène de premier plan. Un constat que ne viennent pas bousculer les rôles secondaires, parmi lesquels on distingue, dans les figures de valet, Andreas Conrad.
Quand les solistes s’égarent, les forces musicales collectives nous réservent les plaisirs musicaux les plus évidents de la soirée : le chœur Arnold Schönberg n’a pas son pareil pour chanter comme un seul homme, avec une élégance de style et une clarté dans l’élocution que l’on aurait rêvé de retrouver du côté des rôles principaux. Dans la fosse, les Wiener Symphoniker défendent avec enthousiasme une partition quelque peu retravaillée sur la base des travaux de Jean-Christophe Keck (avec notamment, en début et en fin d’opéra, les allusions à Don Giovanni). Au pupitre, Riccardo Frizza offre une direction revigorante, latine, souple, dont la légèreté réussit à ne pas trop s’incliner vers l’opérette ; un savant équilibre qui aurait pu inspirer l’équipe scénique…