Nouvellement installé à Wormsley, le Garsington Opera offre une nouvelle saison alternant comme souvent le grand répertoire (La Flûte enchanté), la comédie (Le Turc en Italie) et une redécouverte (la première britannique du présent ouvrage).
C’est en 1720 que Vivaldi compose La verità in cimento (« la vérité à mise à l’épreuve »). Cette œuvre se situe à mi-carrière du compositeur. Vivaldi est alors l’impresario du Teatro Sant’Angelo de Venise, c’est-à-dire qu’il compose pour ce théâtre mais aussi qu’il l’administre en tant qu’entrepreneur. Et la concurrence est rude, notamment avec le prestigieux Teatro San Giovanni e Paolo. Le choix d’un sujet oriental n’est donc pas dû au hasard : c’est le prétexte à des décors et des costumes extravagants, destinés à séduire un public avide de spectaculaire. Vivaldi ne dispose pas des budgets de ses rivaux : ses chanteurs ne sont pas particulièrement célèbres, et les rôles de Zelim et Melindo sont joués par des femmes pour faire des économies ! Pourtant, l’œuvre reçoit un accueil enthousiaste (elle sera jouée tout un mois, ce qui constitue une performance pour l’époque). Le fait est d’autant plus remarquable que le public vénitien n’est pas des plus connaisseurs en matière de musique : l’opéra étant avant tout un lieu social où l’on parle, mange ou fornique sur un fond musical, D’ailleurs, le nom d’un compositeur n’apparait (pour peu qu’on le mentionne) qu’après celui de « l’inspirateur » (l’auteur du sujet initial), du « poète » (le librettiste) et des chanteurs ! Dans de telles conditions, on reste étonné de la qualité du travail et de l’inspiration de Vivaldi, d’autant que le livret, à partir d’une situation initiale emberlificotée en diable, n’offre qu’un nombre limité de ressorts dramatiques.
Déjà entendu dans L’incoronazione di Dario en ces mêmes lieux en 2010 (cf. notre compte-rendu), Paul Nilon, qui interprète le rôle de Mamud,est une sorte de baryténor vivaldien, vocalisant avec souplesse entre le Si bémol grave et le Si aigu. Avec un nom pareil, on ne pouvait évidemment s’attendre à un timbre de velours, mais la voix est incisive, très homogène sur l’ambitus, et le chanteur sait parfaitement combiner ce qu’il faut d’engagement dramatique et de musicalité. Sa favorite, Diana Montague offre des qualités différentes : la voix est moins souple mais le timbre plus charnu, la projection plus imposante. Dramatiquement, elle est tout aussi impeccable. On sera plus réservé sur la sultane officielle de Jean Rigby dont le professionnalisme vient compenser l’usure des moyens. La Rosane de la suédoise Ida Falk Winland constitue la révélation de la soirée. Visuellement, c’est une bombe ! A tel point que l’on craint un instant qu’elle ne doive son engagement qu’à son physique. Mais dès que le soprano ouvre la bouche, les appréhensions s’effacent devant ce que l’on peut décrire comme une déclinaison baroqueuse de Birgit Nilsson. A l’exemple de son illustre aînée, la jeune chanteuse offre en effet une projection très concentrée, un timbre un peu rêche. Mais il faut y ajouter une redoutable aisance belcantiste : des vocalisations précises et rapides, une certaine libéralité dans le registre aigu (contre-Ut et même contre-Ré … piano !). Une artiste à suivre et à réentendre dans une salle plus vaste pour mieux juger de ses moyens. Deux contre ténors s’affrontent dans les rôles des deux demi-frères (comme nous l’avons dit, ces parties étaient, à la création, dévolues à des femmes). Le vrai héritier, James Laing joue les blondinets romantiques, ce qui est d’ailleurs en phase avec ce personnage un peu trop gentil. Le timbre est riche, la vocalisation rapide et soignée avec, en particulier, des trilles correctement battus (c’est devenu suffisamment rare pour qu’on le signale). Son rival, l’israélien Yaniv d’Or affiche au contraire une virilité brune, ténébreuse, et mal rasé. Mais sa voix est moins convaincante, en raison surtout d’une émission peu orthodoxe qui lui fait produire des sons assez sourds et un peu laids dans la partie inférieure du registre. Il s’épanouit davantage dans la partie aigue de la tessiture, mais celle-ci est moins sollicitée dans ce rôle.
A la tête de l’orchestre du Garsington Opera, Laurence Cummings (lui aussi déjà entendu dans L’incoronazione di Dario) sait apporter une couleur baroque à un orchestre traditionnel (le diapason n’est d’ailleurs pas baissé) mais d’une souplesse et d’une légèreté remarquable. Imprimant à sa formation un tempo particulièrement rapide, le chef britannique réussit à maintenir de bout en bout la tension, malgré des situations dramatiques un peu trop répétitives, notamment dans la dernière partie.
La production de David Freeman (lui aussi membre de l’équipe de la précédente Incornazione di Dario) est remarquablement professionnelle, teinté d’un humour qui ne force jamais le trait. Dans un ouvrage qui multiplie les da capo, il n’est pas évident de diriger les chanteurs et le résultat n’en est que plus remarquable. Le décor blanc de Duncan Hayler est simple et efficace : deux portes de part et d’autre du fond de scène, un escalier côté cour, un gigantesque arbre dont les branches surplombent toute la largeur de la scène et où viendront chanter les interprètes … c’est suffisant pour varier les entrées et les positions respectives des chanteurs. Clin d’œil au spectaculaire de rigueur à la création, l’arbre s’enflamme pour l’ensemble final.
Malgré plus de 30 ans de renaissance baroque, Vivaldi n’a toujours pas conquis la place qui, selon nous, lui revient : puisse ce succès contribuer à une reconnaissance plus large de ses talents.