Par nature, les femmes sont trompeuses. L’ignorer met en danger les hommes qui sont en charge du monde. Les mâles doivent donc être mis en garde. L’adolescence est l’âge idéal pour recevoir cette formation, car l’inexpérience et l’exaltation que confère la force vitale se conjuguent alors aux pulsions sexuelles pour flatter la vanité masculine et induire l’aveuglement. Il revient à un aîné d’initier les jeunes hommes à une pédagogie douloureuse mais nécessaire s’ils veulent y voir clair pour bien conduire leur vie. Dans La Flûte enchantée ils seront, comme Tamino, aptes à diriger les autres. Dans Cosi fan tutte, ils vivront en sages.
Ce programme des frères maçons Da Ponte et Mozart est mis en œuvre dans un espace unique en demi-cercle – conçu par Roberto Platé – qui change de fonction par la présence d’accessoires divers. Une immense porte-fenêtre en fond de scène peut ou non, selon qu’elle est obturée totalement, en partie ou pas du tout par des jalousies qui filtrent la lumière de l’espace extérieur, mettre en relation l’intérieur avec la plage étendue jusqu’à la mer qui ferme l’horizon.
La mise en scène de Pierre Constant, qui n’a pas pris une ride alors qu’elle approche des vingt printemps, adhère étroitement aux situations et aux climats, y compris ce final de l’acte I qui pousse la mystification à son paroxysme et anticipe sur les délires rossiniens. En substituant au café initial une séance au bain turc, il installe entre les personnages une intimité qui donne à la controverse d’où découlera l’action (et que prépare leur pantomime pendant l’ouverture) un naturel qui est un pur délice théâtral. Sans doute est-il secondé par un trio masculin particulièrement réactif, mais le trio féminin ne démérite pas, et la première scène entre les deux sœurs éclaire d’emblée leur personnalité. Le rythme des entrées, les apparitions muettes, Despina surprise au lit avec les « Albanais » quand surgissent ses maîtresses, le baldaquin devenant toge tragique ou tombeau ambulant, tout est parfaitement en place avec pour objectif unique d’exalter les potentialités de l’œuvre.
Pleine satisfaction donc pour le versant visuel et théâtral, à nuancer pour les voix. A noter cependant le mariage réussi des timbres, dont les duos bénéficient. Honneur aux dames, la Despina d’ Ailish Tynan, venue remplacer Ketevan Kemolidze, a tout l’abattage scénique souhaitable, sans le cynisme amer qui lui est parfois attribué ; dommage que son élocution la rende difficilement compréhensible. Après sa jolie Fatime dans Obéron Roxana Constantinescu retrouve le Capitole pour cette Dorabella, dont elle exprime à merveille le caractère enjoué et le tempérament sensuel ; vocalement tout est en place mais le timbre n’est pas de ceux qui captivent et elle ne fait pas oublier Sophie Koch de la production précédente. Marie-Adeline Henry, tout aussi gracieuse scéniquement, affronte crânement la terrible Fiordiligi ; depuis sa Lisa de La Sonnambula à Bastille, elle a beaucoup progressé, mais l’extrême aigu frôle encore parfois la stridence, et la souplesse est perfectible. Chez les hommes, Bruno Taddia incarne un initiateur déterminé mais plein de bonne grâce ; est-ce fatigue passagère, par moments la voix, qui n’est pas grande, se perd un peu. Le ténor Saimir Pirgu, depuis ses débuts à Pesaro, s’est étoffé aussi bien physiquement que vocalement sans rien perdre de sa juvénilité et son Ferrando plein d’ardeur vocale et scénique qui chante l’intégralité du rôle sans négliger aucune nuance est un vrai délice. Son alter ego, la basse Alex Esposito, ne lui cède en rien pour la présence, l’abattage ou l’éclat vocal qu’il confère à Guglielmo, de quoi regretter qu’on ne lui ait pas confié l’air alternatif à « Non siate ritrosi ». Les partenariats passés de ces deux artistes donnent à leur collaboration une fluidité perceptible et savoureuse.
Dans une fosse surélevée, l’effectif mozartien de l’orchestre est manifestement composé des plus jeunes musiciens de la formation du Capitole. Ils suivent très activement la battue large et claire d’un Attilio Cremonesi très attentif aux chanteurs. Cet ancien assistant de René Jacobs partage manifestement les conceptions de celui-ci ; il donne à entendre un Mozart dégraissé de tout alanguissement, où rythmes, articulations et couleurs sont à la fois l’origine, le reflet et le commentaire des sentiments et des situations, où la netteté de la lecture et la précision de l’exécution portent en elles la lumière que les héros sont censés découvrir.
Manifestement séduit, le public applaudit sans fin. Tout n’était pas parfait ? Qu’importe, l’opéra naguère encore mal aimé a triomphé. Il y a des hôtels de charme ; cette production, seize ans après avoir remporté le Prix de la Critique, n’a rien perdu du sien !