Giacomo Puccini (1858-1924)
Manon Lescaut
Drame lyrique en quatre actes
Livret de Ruggero Leoncavallo, Marco Praga, Domenico Oliva, Luigi Illica, Giacomo Puccini, Giulio Ricordi
Tiré du roman Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut d’Antoine Francois Prévost
Créé à Turin, Teatro Regio, le 1er Février 1893
Mise en scène : GrahamVick
Décors et costumes : Andrew Hays e Kimm Kovac
Chorégraphie : Ron Howell
Lumières : Giuseppe Di Iorio
Manon Lescaut : Martina Serafin
Lescaut : Dimitris Tiliakos
Il cavaliere Des Grieux : Walter Fraccaro
Geronte de Ravoir : Alessandro Guerzoni
L’oste : Gionata Marton
Edmondo : Saverio Fiore
Un musico : Anna Malavasi
Il maestro di ballo : Stefano Consolini
Un lampionaio : Saverio Fiore
Sergente degli arcieri : Carlo Agostini
Il comandante di marina : Salvatore Giacalone
I musici : Nicoletta Andeliero, Emanuela Conti,
Gabriella Pellos, Francesca Poropat
Orchestra e Coro del Teatro La Fenice maestro del Coro Claudio Marino Moretti
Direction musicale : Renato Palumbo
Venise, le 2 février 2010
Une première glacée
Manon Lescaut fut le premier véritable succès théâtral de Giacomo Puccini. C’était en 1893. Pendant de nombreuses années, le compositeur avait réclamé la réécriture du livret, tiré du roman Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prevost, déjà mis en musique quelques années auparavant par Massenet. L’élaboration de ce livret mobilisa en tout six auteurs. Le résultat fut, comme l’affirma Puccini, la conception d’une Manon « d’italien, animée d’une passion désespérée » et non « de Français, avec de la poudre et des menuets », comme cela avait été le cas chez Massenet. Avec cet opéra, Puccini expérimenta pour la première fois les procédés stylistiques qui devaient le rendre célèbre et qu’il adopta par la suite avec succès dans nombre d’œuvres : présence constante d’un leitmotiv, références à la musique du XVIIIe siècle, une immense palette expressive de couleurs, héritée de Wagner, mais surtout la centralité du rôle féminin dans l’opéra, enfin, l’amour sans possibilité de salut qui porte ses femmes au désespoir et les assigne à une destinée tragique.
A Venise, le chef Renato Palumbo a dirigé un orchestre en état de grâce. Hélas, sa direction s’est toujours montrée distante, fragmentée, parfois pompeuse, mais surtout d’une inexplicable froideur. Comment peut-on congeler ainsi l’intermezzo et d’autres moments lyriques d’une force émotionnelle aussi grande ? On ne s’émeut jamais parce que jamais il n’y a là de pathos.
Martina Serafin, dans le rôle de Manon, a une belle présence. On regrette qu’elle ne soit plus de prime jeunesse, et n’ait pas la sensualité légère de Manon (les poses et les costumes provocants que lui assigne la mise en scène la mettent dans un évident embarras). La voix n’a pas semblé en très grande forme : elle use de son volume (toujours et uniquement forte et davantage) pour couvrir, peut-être, les difficultés techniques du rôle. Les aigus, certes présents, mais pas toujours justes, auront fait le prix sa prestation, saluée par une ovation à la fin de la soirée. En fait, cette bonne chanteuse, dans cet opéra, nous a paru hors-emploi. Sa Manon, dépourvue de grâce de séduction, nous laisse au moment du drame assez indifférent à son destin cruel.
Walter Fraccaro, dans le rôle de Des Grieux, interprète son personnage de manière monochrome. Ce chanteur connu pour son volume sonore semble engagé toute la soirée dans une lutte inégale avec l’orchestre. Certes, il y a du volume, cela s’entend. Mais peut-être n’est-ce pas assez. Son interprétation est par trop forcée. Peut-être lui-même n’est-il pas très à son aise dans la façon dont la mise en scène a voulu le rôle : en costume de jeune écolier déjà frappé d’une calvitie précoce (il n’y avait donc pas de perruque ?). Assurément, le rôle est difficile, parsemé d’aigus que, pour la petite histoire, le ténor assure avec professionnalisme.
Alessandro Guerzoni, lui aussi très sonore, réussit à interpréter fort bien le côté vulgaire de Geronte di Ravoir.
Dimitris Tiliakos, en Lescaut, a fait bonne figure, sans être mémorable. La voix est un peu trop fluette, et l’intonation parfois approximative. Mais il est sans doute le meilleur scéniquement.
La mise en scène, c’est incontestable, n’a pas plu à tout le monde. Elle a surtout déplu aux pucciniens qui religieusement ne supportent pas qu’on puisse plaisanter ni revitaliser un livret qui, avouns-le, un siècle après sa création, manque un peu de fraîcheur. Graham Vick, de retour à la Fenice deux ans après La Rondine, crée un spectacle extrêmement coloré et cependant assez inquiétant, parfois même exagérément lumineux. Il frôle le kitsch à plus d’une reprise, mettant de l’érotisme là où nul n’avait jamais songé qu’il y en eût. Ainsi, les étudiants sont une horde d’adolescents en pleine tourmente hormonale, tout comme Géronte et ses amis sont des voyeurs, des bourgeois consommateurs de viagra affectés de priapisme. Nous avons droit aussi au rail de cocaïne, mais là, on n’en voit vraiment pas la nécessité. Le décor prend d’emblée une couleur dramatique en raison de sa décadence, comme conditionné par les pulsions des personnages. Plus les pulsions sont fortes, plus les aspérités sont grandes. Jusqu’à ce désert artificiel, scène de la mort de Manon.
Solistes très applaudis, contestations timides et quelques sifflets pour la mise en scène. Venise, en cet hiver glacial, n’offre pas plus.
Giulio D’Alessio