Gustave CHARPENTIER (1860-1956)
Louise
Roman musical en quatre actes
Livret du compositeur
Nouvelle production
Mise en scène : Vincent Boussard
Décors : Vincent Lemaire
Costumes : Chantal de la Coste-Messelière
Maquillages et coiffures : Catherine Nicolas
Lumières : Guido Levi
Louise : Nataliya Kovalova
Julien : Calin Bratescu
La Mère : Marie-Ange Todorovitch
Le Père : Philippe Rouillon
Irma : Anneke Luyten
Camille : Anaïs Mahikian
Gertrude, La Première, Laitière, Glaneuse : Nadia Bieber
Apprentie, Plieuse, Petite chiffonnière : Khatouna Gadelia
Élise : Karine Bergamelli
Blanche : Violeta Poleksic
Gavroche : Julien Jelali
Suzanne : Tatiana Anlauf
Balayeuse : Michel Lecomte
Marguerite : Aline Gozlan
Madeleine : Tatiana Zolotikova
Noctambule, Pape des fous, Marchand d’habits, 2e Bohème : Enrico Casari
Chiffonnier : Jesus de Burgos
1er Bohème : Olivier Déjean
Chansonnier : Laurent Roos
Bricoleur, Apprenti : Alain Domi
Premier philosophe : Dominic Burns
Peintre : Olivier Déjean
Poète, Sculpteur : Chae-Hoon Baek
Étudiant : Christian Lorentz
Gardien de la paix : Jens Kiertzner
Second philosophe : Young Min Suk
Chœurs de l’Opéra National du Rhin
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Petits Chanteurs de Strasbourg, Maîtrise de l’Opéra National du Rhin
Direction musicale : Patrick Fournillier
Strasbourg, Opéra, le 22 octobre 2009
Une Louise sans Paris
Est-il possible de présenter Louise en en évacuant tout le contexte tant géographique (Paris) que temporel (les années 1900) ? C’était le pari de Vincent Broussard pour cette nouvelle production. Disons-le d’emblée : nous n’avons pas été convaincu même si, en soi, le spectacle se montre assez cohérent. Il est en effet des œuvres qui, selon nous, sont par trop liées à leur cadre temporel et géographique pour que ceux-ci soient délibérément mis de côté.
Si La Bohème, par exemple, qui se déroule à la même époque et au même endroit que Louise, peut supporter des visions extra-parisiennes et hors-1900, cela nous semble bien plus problématique pour Louise. Les « cris de Paris » qui parsèment l’acte II, les expressions du populaire que l’on entend ensuite à l’acte III, la fête qui se prépare sur la butte Montmartre, les multiples allusions du Père à Paris, etc. sont autant d’éléments qui ancrent cet opéra dans son temps et son lieu de naissance. Vincent Boussard a beau couper le tableau du Couronnement de la Muse, Louise n’en reste pas moins un ouvrage mettant en scène une jeune fille aspirant à la vie de bohème dans le Paris des petits métiers et de la gouaille de Montmartre.
On ne trouvera donc aucune évocation de tout cela dans cette production. Tout est stylisé dans une esthétique froide sinon glacée, ce que renforce l’utilisation envahissante (et lassante) des miroirs. On ne sent pas ici véritablement de vie et d’air, le regard se cogne constamment à ces miroirs qui renvoient l’image de la scène ou de la salle : on étouffe. Si cela peut se comprendre pour les tableaux se déroulant dans l’appartement des parents (d’ailleurs tout de guingois sans que l’on saisisse vraiment pourquoi), cela a moins de justification pour les autres où Louise – et nous avec ! – devrait au contraire ressentir un sentiment de libération.
Autre absence, l’époque 1900. Le premier tableau ancre ainsi l’action dans les années 1960, avec les costumes et la table en formica des parents, mais le deuxième tableau évoque l’époque contemporaine, tout comme le dernier où l’appartement des parents se retrouve transformé avec baie vitrée, porte blindée et travaux de peinture en cours : qu’est-ce qui justifie ce soudain enrichissement des parents et cette volonté de tout changer alors que le père regrette justement la transformation de Paris et qu’il est fataliste sur l’exploitation des petites gens ?
Certaines scènes peuvent davantage séduire, comme le deuxième tableau de l’acte II dans l’atelier de couture ou le troisième acte sur les toits (mais au décor très pentu visiblement malcommode pour les chanteurs). Le tout, du fait de cette stylisation, affiche une certaine cohérence : dans le genre, c’est réussi… mais froid et finalement assez creux.
Autre handicap de la mise en scène : une direction d’acteurs parfois étonnamment absente (le troisième acte), ce qui, associé à une œuvre tirant parfois singulièrement en longueur (Charpentier, qui n’est pas Strauss ou Puccini, ne connaît pas la concision !) nous vaut des instants d’un statisme et d’un ennui à mourir, les nombreux changements d’éclairage – parfois gratuits – n’y pouvant rien changer.
Patrick Fournillier apporte, lui, beaucoup de vie dans la fosse, et c’est heureux. Il est en cela bien suivi par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. On sent l’amoureux de ce répertoire, se plaisant à faire ressortir les détails de la partition par une direction très soignée, tout en gardant un grand élan dans la direction.
Louise regorge de rôles (une quarantaine) dont certains sont fort courts. On aurait ainsi pu s’attendre, de la part d’un opéra français (même si il a été baptisé « opéra d’Europe » par la nouvelle direction), à un plus grand nombre de chanteurs francophones (ou alors maîtrisant mieux le français) pour un ouvrage où le verbe est aussi important… Car si certains sont remarquables de voix et de prononciation, comme Enrico Casari (le Pape des fous, le noctambule – toujours accompagné d’une remarquable « fille de la nuit » : Marina Robert) ou Anaïs Mahikian (Camille), d’autres sont bien peu intelligibles, même si les voix sont souvent belles. C’est dommage.
Des quatre rôles principaux, deux seulement sont français. Ainsi, malgré quelques efforts, on ne comprend hélas pas grand chose de ce que dit le couple d’amants. Le Julien de Calin Bratescu est même un peu à la peine avec un rôle, il est vrai, fort exigeant. Son manque de séduction et de charisme le dessert quelque peu mais la puissance de la voix lui permet de surmonter la masse orchestrale conséquente parfois mise en œuvre par Charpentier. Quant à la Louise de Nataliya Kovalova, elle se montre assez monolithique. On a du mal à croire qu’elle est « heureuse », comme elle ne cesse de le dire dans son célèbre air du III, tant l’expression est modérée. La voix affiche un beau timbre mais gâché par moments par quelques sonorités métalliques et un vibrato lent.
Le couple de parents est francophone, et cela s’entend singulièrement, surtout du côté du Père. Il est un peu dommage que la Mère de Marie-Ange Todorovitch soit le plus souvent en furie, ce qui pousse la chanteuse à faire « la grosse voix » nous semble-t-il. Cela nuit à la ligne et à la compréhension du texte. Aussi, son apparition à l’acte III, où elle vient humblement réclamer le retour de Louise à la maison auprès de son père malade, est-elle particulièrement réussie et touchante.
Mais c’est le Père campé par Philippe Rouillon qui rafle tous les suffrages, non seulement pour la beauté de la voix, puissante et timbrée, que pour la prononciation impeccable. L’acteur est en outre superbe. Ses monologues du dernier acte apportent enfin de l’émotion à une soirée hélas bien aseptisée.
Pierre-Emmanuel Lephay
Prochaines représentations :
à Strasbourg : 31 octobre, 20 h
à Mulhouse (Filature) : 8 novembre, 15 h et 10 novembre, 20 h.