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Die Winterreise — Freiburg

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Spectacle
25 mars 2010
Un voyage ahurissant

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4

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Détails

Schuberts Winterreise (Zender, Edwards – Freiburg)

Hans ZENDER

(né en 1936)

 

Schuberts Winterreise

« Une interprétation composée » pour ténor et petit orchestre (1993)

 

Hans Zender

  

Steve Davislim, ténor

SWR Sinfonierorchester Freiburg – Baden-Baden

Direction musicale : Sian Edwards

 

Freiburg im Breisgau, E-Werk, 25 mars 2010

 

 

Un voyage ahurissant

 

Le Schuberts Winterreise de Hans Zender est une (re)lecture d’une œuvre du XIXe s. par un compositeur du XXe s., en l’occurrence, une « amplification » du matériau schubertien tant au niveau instrumental (le ténor est ici accompagné par une vingtaine de musiciens) qu’au niveau du discours musical puisque les éléments mélodiques et rythmiques de la partition de Schubert sont développés, brodés, répétés, distordus avec parfois des éléments de XXe s. : klangfarbenmelodie, bruitisme, cluster… On reconnaît cependant toujours chaque lied du cycle.

Si l’on prend par exemple le tout premier, Gutte Nacht, Zender évoque les pas, le cheminement (tant physique que spirituel) du voyageur par des soufflements issus des instruments à vent et des percussions. Progressivement, l’accord de Ré mineur apparaît puis les premières notes du motif mélodique (Fa-Mi-Ré-La) sont répétés en canon et en boucle par les clarinettes (réparties autour du public) avant qu’un Ré entêtant et hurlant envahisse le champ sonore. La voix entre ensuite sur la mélodie connue. Mais plus loin, tout semble « dérailler » : la voix, soudainement amplifiée, hurle les vers « L’amour aime l’errance, Dieu l’a ainsi fait – il passe de l’un l’autre – douce bien-aimée, bonne nuit ! ». On se retrouve alors plongé dans l’expressionnisme le plus pur avant que la voix ne rechante doucement et sagement « douce bien-aimée, bonne nuit ! ».

Le lecteur aura compris le « principe » (si principe il y a) de Zender qui offre là une relecture (une « interprétation composée » dit-il lui-même) tout à fait fascinante du cycle schubertien, un cycle que, après avoir vécu l’expérience du voyage zendérien, il est impossible de réécouter comme avant. Car d’expérience, il s’agit bien : l’intensité de cette réinterprétation de Zender est telle que l’on ressort du concert complètement retourné. La relecture du dernier lied (Der Leiermann, Le joueur de vielle) est, il est vrai, hallucinante et hallucinée : si, avec Schubert, on est déjà au bord du gouffre, on plonge dans une noirceur abyssale avec Zender (préparée par l’accentuation d’une ambiance cauchemardesque à de nombreuses occasions du cycle). La quinte obstinée de Schubert devient ainsi chez Zender le fondement d’un cluster qui finit par engloutir le discours tel un trou noir englobant la matière. Il faut un moment pour reprendre ses esprits après une telle fin.

 

L’interprétation que nous offre le SWR Sinfonieorchester de Freiburg – Baden-Baden est admirable. Dirigé d’une main experte et sûre par Sian Edwards (avec peut-être un peu trop de force parfois cependant), les musiciens font valoir leurs admirables qualités de musicalité (la partition leur offre à tous l’occasion de briller). Certes le trombone alto manque l’appel initial du sixième lied Wasserflut, mais la manière dont il fait superbement chanter son instrument par la suite rattrape cette entrée (d’une difficulté extrême, précisons-le).

La performance de Steve Davislim est également remarquable. La voix est séduisante, souple et légèrement corsée (on est plus proche de Prégardien que de Schreier par exemple). Le chanteur maîtrise son instrument avec grande intelligence et il n’est jamais tenté de forcer ses moyens (ce que la masse orchestrale pourrait l’entraîner à faire). Se vantant d’une belle prononciation de l’allemand, sa lecture est stylée et dramatiquement prenante. De la très belle ouvrage. 

 

Un mot enfin sur la qualité du public, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Le silence, la concentration, le « partage » de l’intensité de l’œuvre furent exceptionnels (nous sommes en Allemagne…). Porté par un tel public, l’émotion qui nous submergea lors du dernier lied fut encore accrue lorsque nous eûmes la surprise et le bonheur de voir s’avancer le compositeur vers les artistes. L’ovation qu’il reçut alors fut le plus cadeau que nous pouvions faire à ce compositeur qui a transformé notre écoute du Winterreise de Schubert.

 

Pierre-Emmanuel Lephay

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