« Un Train pour Johannesburg ! » (exclamation extraite du chœur de départ du pasteur) est le nouveau nom de Lost in the Stars suggéré par les ayants droits de Kurt Weill pour mieux revendiquer la version française présentée ce soir. Mais le spectacle est strictement identique aux spectacles présentées en 2012-2013 sous le titre original.
En 1948, Alan Stewart Paton publiait un ouvrage, Pleure, ô pays bien-aimé (Cry, the Beloved Country), qui connut immédiatement un retentissement international (15 millions d’exemplaires en 20 langues, et trois films). Dans sa lutte contre l’apartheid, Il y évoquait surtout la grande peur des Sud-africains blancs : « Nous allons mettre de plus en plus de verrous sur nos portes, acheter un chien féroce, et la beauté des arbres la nuit, de même que le ravissement des amoureux sous les étoiles, tout cela sera oublié… […] Pleure, ô pays bien-aimé, car l’enfant encore à naître héritera de nos peurs. » Nelson Mandela et Frederik de Klerk réussissent, à partir de 1989, à éradiquer l’apartheid. La ségrégation raciale aux États-Unis (1875-1960) connaît la même évolution avec Martin Luther King (« I have a Dream », 1963). Et pourtant, cette peur de l’autre reste partout présente aujourd’hui dans nos pays occidentaux.
Tout aussi courageuse est la tragédie musicale de Kurt Weill, Lost in the stars, sa dernière œuvre scénique. Paton avouait avoir eu de fortes émotions à la vision de cette œuvre qui fut jouée 281 fois d’affilée lors de sa création à Broadway. Le public y était sensible à cette histoire « belle et profondément émouvante, une histoire noyée dans la tristesse et le chagrin mais irradiant l’espoir et la compassion » (Orville Prescott, The Times).
L’œuvre, quasi inconnue en France jusqu’à la présente production d’Olivier Desbordes, est particulièrement bien servie par une grande sobriété scénique, un dépouillement, une rigueur, et une excellente direction d’acteurs, sans excès ni mièvrerie, qui parviennent parfaitement à transmettre son message de fraternité. Laurent Bury, dans son compte rendu de 2012, avait relevé un certain nombre de faiblesses que l’on ne retrouve pas aujourd’hui. Depuis, le spectacle s’est certainement rodé, et toutes les critiques évoquées alors semblent maintenant totalement surmontées : Eric Vignau, notamment, est en très bonne forme vocale, et a l’autorité nécessaire pour être un parfait Leader (récitant). Jean-Loup Pagésy a semble-t-il de son côté amélioré son travail scénique : engagé, vocalement très solide, il est habité intensément par le rôle du pasteur. Le reste de la troupe est parfait, y compris deux chanteurs qui ne figuraient pas dans la distribution de 2012, l’excellente Dominique Magloire (Linda et Grace Kumalo), et Alexandre Martin Varroy (Edward Jarvis, Burton et un danseur).
Le thème du roman est superbement rendu par une musique très éloignée de Berlin, qui mêle réminiscences belcantistes (Puccini n’est jamais loin), blues, jazz et percussions africaines. Dominique Trottein, joue du piano et dirige fort bien un orchestre de neuf musiciens s’investissant totalement dans cette production malgré leur position en fond de scène. Les textes parlés (en français) sont plutôt bien dits, mais l’absence de surtitrage pour les parties chantées en anglais peut pénaliser le public non averti.