Le nom de Paisiello n’est cité que trois ans après, en 1807, dans la première description de la cérémonie du sacre de Napoléon. Sinon, rien pour ce qui concerne la messe à proprement parler, attribuée à tel ou tel. Il faudra attendre la publication de Jean Mongrédien (Revue de Musicologie , 1967/2) pour que la lumière soit faite sur les conditions de sa commande et de sa réalisation. Ainsi, apprend-on que la totalité de la musique du sacre coûta bien moins que…les tabatières offertes au pape, aux cardinaux et évêques qui l’accompagnaient, malgré les 19.149 pages de musique copiée qu’elle nécessita. C’est dire combien sa fonction fut réduite à une forme de divertissement musical rythmant l’interminable cérémonie, de plus de cinq heures.
Evidemment, les effectifs mobilisés ce soir, à l’Arsenal de Metz, pour la messe du sacre sont sans comparaison avec ceux de sa création (133 « musiciens chantants », 190 instrumentistes s’ajoutant aux 77 musiciens de la garde). Les 24 chanteurs de l’excellent Chœur de chambre de Namur, qu’anime Thibaut Lenaerts, chantent sans masques, séparés par des cloisons transparentes. Les 41 instrumentistes du Concert de la Loge forment un ensemble quelque peu déséquilibré par l’importance accordée aux basses (4 violoncelles, 2 contrebasses, 2 bassons et l’orgue).
La transparence du Kyrie (noté « larghetto ») séduit. Les modelés de chacune des composantes du Gloria sont remarquables, mais plus encore les interventions de chacun des solistes, tous exemplaires : l’admirable Mathias Vidal, clair, incisif, projeté à souhait, dans le Gratias tout particulièrement ; Chantal Santon et Sandrine Piau au Domine Deus, mais plus encore au Quoniam, comme à l’Et incarnatus, suivi du Et ressurrrexit, introduits par la harpe et le cor solo, sont superbes, rivalisant de longueur de voix et d’aisance; une mention particulière pour Thomas Dollié, auquel la partition réserve deux numéros (Cum sancto spiritu, et Domine salvum) ; Eléonore Pancrazi, aux couleurs superbes, ne participe qu’aux ensembles, hélas.
Cependant, l’œuvre reste extérieure, démonstrative, valorisant la virtuosité de tel ou telle. Et la lecture qu’impose Julien Chauvin n’est pas propre à en restituer l’émotion. Sans entrer dans le détail des treize numéros de la messe, on est surpris par les libertés que s’octroie le chef. La plupart des indications de mouvement – clairement indiquées par le compositeur – sont simplement oubliées, voire contredites. Le résultat peut être convaincant : ainsi, le Qui sedes, où brille Sandrine Piau (1), virtuose, est très animé de son rythme pointé, mais noté « larghetto »… On retiendra de cette écoute le dialogue entre les femmes et les hommes du choeur, a cappella, qui ouvre le Qui tollis, les imitations entre nos deux sopranes (Quoniam), l’Et incarnatus, avec la harpe et le cor, et la puissante conclusion, jubilatoire (« moderato » ?).
Le concert de ce soir associe cette messe de Paisiello à la reconstitution de la première exécution du Requiem de Mozart, donnée peu après (le 21 décembre) C’est ce même Requiem qui sera joué au retour des cendres de l’empereur en 1840, mais Beethoven en avait déjà été honoré, avant Chopin, en 1849.
Anecdotique, documentaire dans le meilleur des cas, cette lecture pose plus de questions qu’elle n’en résout. On s’interroge sur les sources qui ont présidé à la reconstitution de cette première exécution parisienne. Alexandre Dratwicki, pour le concert donné le 18 juin au Théâtre des Champs-Elysées, précisait alors les différences qui en seraient les caractéristiques. Or, l’œuvre était programmée en 1804 par le Conservatoire, qui en préparait l’édition, quelques semaines avant le sacre. Ses musiciens, réquisitionnés, durent attendre le 21 décembre pour produire le Requiem, peu avant cette publication par l’institution. Celle-ci, conforme à la toute première (chez Breitkopf & Härtel, en 1800), à quelques détails près, ne correspond pas à ce qui nous est proposé ce soir.
L’agitation fébrile qui a présidé à l’interprétation de la messe de Paisiello sera amplifiée pour le Requiem de Mozart. C’est une course, alla Currentzis ou alla Rouvali, qui nous est proposée, l’émotion en moins. Un Kyrie de Jommelli est substitué à l’Introït initial, soutenu par la rythmique obstinée du motif d’introduction. Serein, puis très doux, apaisé, on s’interroge sur la lecture du texte liturgique. L’ensemble des numéros suivants sera emprunté au Requiem de Mozart, avec nombre d’altérations et de coupures (pas de cors de basset, remplacés par des cors anglais, le Tuba mirum est radicalement transformé par la substitution de tous les vents au trombone solo…) Les tempi adoptés par la direction, impatiente, enflévrée, déconcertent, occultant la dimension spirituelle, parfois lugubre et inquiétante. Le spectacle est démonstratif, puissant, parfois jubilatoire, pris tambour battant, à la limite des capacités virtuoses des interprètes (particulièrement dans la fugue du Cum sancto), les respirations, les suspensions, le silence font défaut, sinon à la fin, où le public semble douter que l’on y soit parvenu. Moins d’une demi-heure, même si l’on prend en compte les coupures, voilà qui bat bien des records. Certains auditeurs quittent ostensiblement la salle dès cette conclusion, avant que le Dies irae soit donné en bis, en réponse aux applaudissements.
- Les Messins auront la chance d’écouter de nouveau Sandrine Piau, à l’Arsenal, le 8 avril, pour un programme de duos avec Véronique Gens, intitué « Rivales », toujours accompagné par Le Concert de la Loge, dirigé par Julien Chauvin.