Révélé au public parisien en début de saison avec une lecture très personnelle d’Eugène Onéguine1 au Palais Garnier, lecture dont témoigne un DVD chez BelAir Classiques, Dmitri Tcherniakov n’avait pas l’intention de s’attaquer si vite à Macbeth ; il a pourtant accepté la proposition de Gérard Mortier et relevé le défi de façon admirable.
Le spectacle fascine d’abord par sa prouesse technique. Avant que ne débute la triste et sombre histoire de Macbeth, une charmante petite bourgade est cartographiée par photo-satéllite, localisée en temps réel et zoomée (via google earth). Le rideau se lève sur la place principale de la ville basse, où vit en clan serré un groupe compact de femmes (les sorcières), entourées de leurs enfants et de leurs maris. Celles-ci prédisent l’avenir à Macbeth venu en compagnie de Banco de la ville haute où ils résident, les interroger. La carte satellite fait ensuite le point sur la villa de Macbeth, l’image (en 3D) se rapprochant de la baie vitrée avant qu’elle ne s’ouvre pour laisser apparaître le salon du couple : pendant ce temps, une voix off déclame un étrange texte aux accents prophétiques. Lady Macbeth exhorte son mari à se montrer ambitieux et à prendre le pouvoir par la force. La venue du Roi Duncan est une aubaine ; Macbeth en profite pour le tuer dans la nuit, soutenue par sa femme qui fait accuser les gardes en laissant le poignard en évidence. Alors que Banco est écrasé par la foule groupée sur la place de la ville basse, une réception a lieu chez Macbeth. Son épouse, d’humeur joyeuse improvise quelques tours de magie, mais les convives finissent par prendre la fuite lorsque Macbeth pris de visions, se jette sur eux, hagard.
A quelque temps de là, Macbeth intrigué par les prophéties, retourne interroger les femmes de la ville basse qui l’assurent du pouvoir absolu, tout en le mettant en garde. La place est alors envahie par les habitants de la ville basse qui s’apprêtent à fuir, avant de se liguer contre Macbeth. Dans la villa partiellement dévastée, Lady Macbeth erre, prise de folie, tandis que Macbeth, cloîtré, est assassiné par le groupe de la ville basse venu pour l’exterminer et détruire sa demeure, dont les murs sont vandalisés. La petite ville et ses habitants retrouvent enfin le calme et la paix.
Voici donc une conception totalement renouvelée de l’oeuvre qui utilise la nouvelle technologie, transpose le drame, ses enjeux et ses personnages dans un lieu et à une époque indéterminés, avec originalité et modernité. Auteur de cette sensationnelle mise en scène réglée au millimètre, mais également des décors suggestifs et des costumes aux lignes sobres et épurées, Dmitri Tcherniakov réussit à traiter le sujet et à raconter une histoire comme s’il s’agissait d’une variation qui s’éloignerait de son thème, sans jamais le perdre de vue. L’atmosphère éminemment « lynchienne » qui se dégage de cette réalisation aux enchaînements cinématographiques, où planent éléments surnaturels et impressions cauchemardesques, confèrent à ce drame tout sa puissance et tient en haleine le spectateur constamment à l’affût.
On retrouve avec satisfaction le jeune chef Teodor Currentzis, découvert l’an dernier dans Don Carlos, impétueux, passionné, dont la direction est en accord avec les choix esthétiques du metteur en scène. Le fougueux maestro soigne le tissu rythmique pour rendre à chaque scène son caractère individuel et contrasté, entretient l’atmosphère nocturne et joue avec de belles couleurs orchestrales qui définissent personnages et situations.
Dimitris Tiliakos est un Macbeth au chant minutieux et élégant, digne héritier de Renato Bruson et de Leo Nucci, possédé par ce rôle d’assassin terrorisé, influençable et autodestructeur. Dans celui de Lady Macbeth, Violeta Urmana, très impliquée scéniquement, offre une composition vocale de tout premier ordre. La voix est large, le timbre charnu, le grave et l’aigu répondent à l’appel (seul le ré bémol du Somnambulisme est évité) et pour la première fois depuis des lustres, les vocalises du Brindisi sont exécutées avec facilité, justesse et plaisir ! Malgré son âge, Ferruccio Furlanetto est un Banco solide, Stefano Secco un Macduff de luxe, tandis que Alfredo Nigro (Malcom) et Yuri Kissin (Medico/Domestico) sont des silhouettes de premier choix.
Une nouvelle réussite pour ce jeune russe.
1 Lire le compte-rendu.
Vos réactions
C’est drôlement chouette François d’avoir les vedettes, mais moi je me paie toujours les doublures (au même prix de billet, cela va sans dire, contrairement à d’autres salles comme le Licéo de Barcelone où la seconde distribution est moins chère) ! Hier soir 29 avril, c’était Larisa Gogolevskaya qui « jouait », en fait qui s’agitait en Lady Macbeth… Pour Lady Macbeth, Verdi souhaitait une voix laide : il aurait été comblé. Mais en plus, il aurait eu droit à un legato impossible, à des ports de voix désagréables, à des cris, à une justesse plus qu’approximative, à une absence totale de caractérisation du personnage et à une totale absence de style (ou plutôt au style marchande des quatre saisons égarée sur scène). Avec en prime à la fin du deuxième air une note complètement fausse, donnée une mesure trop tard sous les huées du public, généralisées au salut final (ça fait quand même plaisir de voir les moutons de l’Opéra de Paris réagir). Une telle cantatrice est indigne d’une telle production, qu’elle plombe, ainsi que notre première scène nationale. La présence de cette dame n’aurait été excusable, à la limite, qu’en cas de sauvetage au dernier moment de la représentaiton. Or elle est prévue à nouveau le 5 mai ! Sauve qui peut…
Didier