Gioacchino Rossini (1792-1868)
Il Barbiere di Siviglia
Opéra bouffe en deux actes
Livret de Cesare Sterbini
d’après la comédie homonyme de Beaumarchais
Création Rome, Teatro Argentina, 20 février 1816
Mise en scène : Stephan Grögler
Décors : Stephan Grögler – Véronique Seymat
Costumes : Véronique Seymat
Lumières : Cyril Mulon
Le Comte Almaviva : Enea Scala
Rosine : Carine Séchaye
Figaro : Tassis Christoyannis
Le docteur Bartolo : Luciano Di Pasquale
Don Basilio : Luigi De Donato
Berta : Marie Paule Bonnemason
Chef de chœur : Daniel Bargier
Chœur et Orchestre : Opéra de Rouen Haute-Normandie
Direction musicale : Luciano Acocella
Théâtre des Arts, 12 décembre 2009
Un Figaro à suivre…
Dans l’œuvre de Beaumarchais, Le Barbier de Séville est la première pièce d’une trilogie dite espagnole. Cette comédie a été créée en 1775 alors que les deux autres, Le Mariage de Figaro et La Mère coupable, ont été joués en 1784 et 1792. Autres temps, autres mœurs : l’auteur met en scène les mêmes personnages, mais le message est bien différent.
Si deux de ces pièces ont fait naître les chefs-d’œuvre de musiciens de génie, la troisième n’a que peu attiré les compositeurs. Grétry a renoncé à mettre certains passages en musique comme il l’avait proposé ; Darius Milhaud a essuyé un échec avec un opéra du même nom, représenté à Genève en 1966. La réussite totale de l’audacieux pari de l’Opéra de Rouen, qui met en relation cette trilogie de Beaumarchais à travers trois œuvres lyriques encore plus distantes, repose sur la création mondiale en avril 2010 de L’Amour coupable de Thierry Pécou (né en 1965) dont le livret est inspiré de la Mère coupable. Parviendra-t-il à sortir de son long purgatoire cette œuvre méconnue, voire dépréciée ?
Le metteur-en-scène, Stephan Grögler, a mis toutes les chances de son côté pour que ce défi devienne le moteur d’une passionnante aventure théâtrale. Comme il le dit lui-même, son travail s’attache à montrer « l’universalité des idées et des sentiments » en préservant « le charme » de l’époque dans laquelle se déroulent les œuvres. Afin de satisfaire les exigences musicales, chacune sera donnée avec un chef et des chanteurs différents, tandis que la continuité visuelle s’établira à travers les mêmes éléments de décor à géométrie variable et les costumes dix-huitième siècle.
Dès les premières notes de l’ouverture orchestrale de ce Barbier de Séville, le spectateur est happé par une bonne humeur contagieuse. Se profilent sur un fond noir et à différents niveaux, des portes, des fenêtres, des cadres vides, dont on ne saisit pas l’ordonnancement à première vue. Deux comparses font défiler à la manivelle sur une banderole en papier un texte calligraphié qui présente le canevas dramatique. Tour à tour, comme sur certains génériques des anciens films encore proches de l’univers théâtral, les personnages, introduits par un Monsieur Loyal en chapeau haut-de-forme, prennent la pose dans un cadre. Très soignés dans les détails, les costumes sont seyants et bien caractérisés. La gestuelle proche de la pantomime style commedia dell’arte s’accorde avec cette musique brillante et rythmée, capable de s’enrouler sur elle-même et de se dérouler avec une frénésie parfaitement contrôlée. Animé par des câbles et un plateau tournant, le dispositif scénique autorise une grande fluidité dans l’enchaînement des différentes scènes ainsi que dans les mouvements des chanteurs et des choristes. Vive et pleine d’humour, la direction d’acteurs, est toujours en phase avec l’état d’esprit des personnages et la situation. Un exemple : quand il attaque sa célèbre cavatine d’entrée « La ran la re ra…» Figaro vient de se réveiller ; il fait sa gymnastique, torse nu, à la fenêtre de sa chambre avant de s’habiller en cadence pour partir au travail en chantant son joyeux « Ah che bel vivere » !
Silhouette virile, mais démarche élégante, élocution claire, voix bien projetée, timbre plus proche (ou presque) d’un ténor sombre que d’une basse : l’excellent Figaro tout en finesse du baryton grec Tassis Christoyannis domine la distribution. Le Comte Almaviva du ténor italien Enea Scala se montreplus à l’aise vocalement dans le comique que dans la sérénade. Sans grand relief dans la première partie, il s’impose davantage quand il contrefait avec talent le soldat éméché, puis le faux maître de musique. La Rosine de Carine Séchaye est plus amusante que sensuelle. Sa voix petite manque de rondeur ; certains aigus sortent quelque peu rugueux. Notons cependant tout au long de la représentation une charmante connivence entre ce couple d’amoureux. Le fameux air « la calunnia è un venticello » chanté par Luigi De Donato rate hélas son plein effet. Sans doute à cause d’une insuffisance de répétition avec l’orchestre, le chanteur paraît entraîné dans un tempo trop rapide pour vocaliser intelligiblement ; sa voix est partiellement couverte par les instruments. Il se révèle bien meilleur dans les ensembles du deuxième acte. Rompue au chant rossinien, la basse bouffe Luciano Di Pasquale est un Bartolo efficace. Son air « Aun dottore della mia sorte » est applaudi comme il se doit.
Un peu flottante au premier acte, la direction de Luciano Acocella se raffermit et obtient une meilleure cohésion entre la fosse et la scène en deuxième partie. Conduits par un chef italien expérimenté et sensible, les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie donnent alors leur maximum. Il reste à mentionner les éclairages beaux et intelligents qui font que cette folie organisée s’accorde si bien avec la gracieuse musique de Rossini. Sans aucun doute, le premier volume de cette trilogie donne envie de découvrir la suite.
Brigitte CORMIER