C’est la version de Stockholm d’Un ballo in Maschera que nous propose l’opéra de Prague. Il nous sera donc donné de voir un roi assassiné sur scène, ce que l’on avait refusé en son temps à Verdi. Cela l’avait conduit, bien malgré lui, à contourner l’obstacle et à transposer l’intrigue à Stettin, à Boston, Naples ou Stockholm…
Un bal masqué fatal donc, subtilement préfiguré d’emblée par un superbe pavage en trompe-l’œil qui couvre toute la scène; il sera comme le fil conducteur de l’action jusqu’au III, où il se mariera magnifiquement avec les éclatants décors de la scène de bal (superbes et riches costumes de Marek Spin). Le signe du trompe-l’œil est omniprésent et pas seulement au bal où il s’agit bien sûr de reconnaître qui est l’autre, de ne pas se tromper de cible quand le coup fatal va partir.
Mais ce fil conducteur dans le décor dit aussi l’équivoque des sentiments. La faute est-elle là où on le pense ? Ne nous trompons-nous pas sur l’autre ? Quand, sur son trône de mort, Gustav non seulement pardonne à Renato mais révèle à tous qu’il n’a pas attenté à l’honneur d’Amelia, Renato mesure son erreur fatale qui l’aura poussé au régicide. Dominik Benes nous livre ainsi une mise en scène très soignée, intelligente et attentive aux méandres d’une intrigue somme toute plurielle.
Décidément l’orchestre de l’opéra de Prague aura encore démontré une certaine inconstance. Pourquoi diable le chef Jan Chalupecky ne s’occupe-t-il pas de diriger les choristes lorsque ceux ci décalent (premier acte), tout affairé qu’il est à suivre solistes et orchestre ? Cela nous vaudra quelques approximations dont on se serait bien passé. Le choix des tempi n’est pas toujours judicieux; de plus l’orchestre est parfois trop puissant. Malgré ces réserves non négligeables, il accompagne correctement le plateau.
Michal Lehotsky est Gustav III. Rôle d’une rudesse qu’il ne faut pas sous-estimer, avec de forts moments de tensions qui sollicitent énormément le ténor. On a aimé chez Lehotsky la volonté de n’esquiver aucune des difficultés de la partition (d’autres n’ont pas toujours eu cette délicatesse…). Il les surmonte toutes, disons-le d’emblée, même si c’est parfois au forceps. Il possède au demeurant le même problème d’élocution qu’un certain …Mario del Monaco (la comparaison s’arrêtera là!), ce qui, finalement, une fois qu’on s’y est habitué, n’est pas sans lui ajouter un certain charme. Son air du I,2 (« Di’ tu se fedele ») nous montre l’étendue de sa tessiture et notamment de jolis graves. En tout cas il aura fait preuve d’une belle endurance tout au long de la soirée.
Le Renato de Svatopluk Sem possède un baryton correct. Il a la puissance nécessaire, l’amplitude, et il figure bien le secrétaire fidèle, le mari décomposé puis le comploteur déterminé. Que lui manque-t-il alors ? Outre une musicalité qui lui fait parfois défaut (peut-être est-il tout simplement trop appliqué dans les passages corsés) , il nous manque les ténèbres, le cuivre, ce soupçon de noirceur aussi dans la voix qui caractérise le baryton-Verdi qu’assurément Sem n’est pas. Son « Eri tu » du III nous déçoit de ce fait forcément un peu, et d’autant plus que l’accompagnement de l’orchestre est, sur cette aria, bien décevant. Un tempo trop rapide, une excessive mise en avant des cuivres (dans l’arioso introductif) qui donne à l’ensemble un côté trop martial et nous renvoie vers les – mauvaises – habitudes d’orchestration du Verdi des années 1840.
On avait entendu il y a peu Maria Kobielska dans le rôle titre de Rusalka. Elle nous avait ému par son engagement et sa fluidité. Son apparition en Amelia dans la seconde scène du I est décevante. La voix est lourde, le vibrato envahissant, le legato totalement absent (le trac ?). Heureusement sa scène du II, pourtant difficile, est mieux entamée et son duo avec Gustav nous rappelle certaines de ses belles qualités. Son « Ebben, si, t’amo » ne donne peut-être pas la chair de poule, mais il nous redit que cette jeune femme a d’indéniables talents d’actrice. Dans son «Morrò, ma prima in grazia » du III elle met toute son énergie et un indubitable engagement.
L’Ulrica de Veronika Hajnová a plus de la devineresse que de la sorcière. Malgré un timbre plaisant, la voix n’est pas assez sombre, pas assez charpentée, pas assez tonique non plus. Pas sûr, au final que Hajnová soit ici bien distribuée. Elle possède en revanche un jeu élégant et subtil. On aimerait l’entendre dans Charlotte (Werther) qu’elle a déjà jouée. Un mot sur les comploteurs Jirí Hajek et Oleg Korotkov; noirs à souhait, dans leurs costumes et dans leurs voix, ils forment au III un trio convaincant avec Renato.
Mais la reine d’un soir, c’est… Oscar ! Marie Fajtová mène le bal d’une façon époustouflante, et pas seulement au troisième acte. Dès son air du I (« Volta la terrea »), elle fait feu de tout bois, se jouant des multiples difficultés d’un air compliqué pour une entrée de scène et qu’elle expédie avec une maestria confondante. Et tout au long de la soirée, elle brillera de mille feux, rendant ses apparitions littéralement captivantes. Le public ne s’y est pas trompé en lui réservant les applaudissements les plus nourris. On aimera l’entendre dans des rôles plus trapus, elle est à coup sûr de l’étoffe de celles qui peuvent envisager une belle carrière, si toutefois elle sait être raisonnable dans ses choix. Marie Fajtová a quelques jolis rôles à son actif. Elle sort d’une longue série de Traviata à Helsinki. Son répertoire est déjà copieux, citons : Donna Anna, Donna Elvira, ou encore Norma. Un nom à suivre.