Créée en 2007 puis reprise en 2009, la production du Bal masqué de Verdi signée Gilbert Deflo a plutôt bien vieilli, à moins que par comparaison avec certains spectacles récents, ce qui nous avait semblé discutable à l’époque, paraît aujourd’hui bien dérisoire à commencer par l’atmosphère uniformément lugubre dans laquelle se déroule la totalité de l’action. Décors et costumes sont majoritairement noirs, un noir rehaussé par quelques éléments d’un blanc immaculé, l’hémicycle du premier acte surmonté en son centre d’un aigle aux ailes déployées, la statue de Riccado qui trône dans le salon de Renato au troisième acte ou certains déguisements des danseurs dans la scène du bal qui, avec ses lumières tamisées évoque une veillée funèbre. Dans cette production, la seule tache de couleur est la robe rouge d’Ulrica dont l’antre constitue le tableau le plus réussi.
La direction d’acteurs, en revanche, est toujours aussi inexistante, les personnages, la plupart du temps statiques, adoptent des poses convenues. Que dire du grand duo du deuxième acte où les deux protagonistes se déclarent un amour passionné à plusieurs mètres l’un de l’autre.
Fort heureusement, c’est une distribution presque sans faille qui a été réunie pour l’occasion, dominée par l’exceptionnelle Amelia de Sondra Radvanovsky, encore tout auréolée de son triomphe dans Poliuto à Barcelone le 13 janvier dernier. Véritable soprano verdien, la cantatrice canadienne possède un medium solide, un aigu percutant et un grave opulent, le timbre sombre est riche en coloris et la voix, généreuse et bien projetée, possède une dynamique qui lui permet d’alterner les puissantes envolées vers l’aigu de « Ecco l’orrido campo » avec les délicats pianissimi dont elle orne sa ligne de chant dans un « morrò ma prima in grazia » poignant. Interprète inspirée, Radvanovsky fait passer dans son chant tous les affects qui troublent son personnage, auquel elle confère une présence scénique d’une classe irrésistible.
© Emilie Brouchon / Opéra national de Paris
A ses côtés, Piero Pretti parvient à s’imposer ce qui est déjà beaucoup. Sans se hisser sur les mêmes cimes que sa partenaire, le ténor sarde possède plusieurs atouts dans son jeu, un timbre clair, une voix homogène et bien projetée, un aigu claironnant. Si sa palette de couleurs est moins variée que celle de sa consœur, il est capable de nuancer élégamment sa ligne de chant, en particulier dans son grand air du troisième acte, « Ma se m’è forza perderti », qu’il interprète avec une émotion intense. Dans la canzone « Dì tu se fedele il flutto m’aspetta » il donne à la fin de chaque couplet les notes graves écrites par Verdi que de nombreux ténors transposent vers l’aigu.
Succédant à Luciana d’Intino qui a mis fin à sa carrière en octobre dernier, Varduhi Abrahamyan ne possède pas tout à fait le format vocal que requiert le rôle d’Ulrica, le grave est confidentiel et l’aigu manque d’éclat, pourtant la cantatrice d’origine arménienne parvient somme toute à tirer son épingle du jeu grâce à un medium consistant aux tons chatoyants et à une caractérisation de son personnage tout à fait convaincante.
La saison passée, la Lucia touchante de Nina Minasyan avait séduit le public de l’Opéra Bastille, cette année elle campe un Oscar proche de l’idéal. Physiquement, la chanteuse est tout à fait crédible en adolescent enjoué ; vocalement, elle dispose d’une voix juvénile aux aigus cristallins dépourvus de la moindre acidité. Son style est impeccable et sa technique accomplie comme en témoignent les vocalises qu’elle exécute avec brio.
Simone Piazzola, en revanche, constitue le seul point faible de la distribution. Mal projetée, la voix paraît atone, le registre grave est inaudible et le comédien peu convaincant. S’agit-il d’une méforme passagère ? On le lui souhaite car ce baryton est encore bien jeune – trente-trois ans à peine – et son début de carrière s’était révélé prometteur.
Enfin, Mikhail Timoshenko est un Silvano à la voix bien timbrée et les conspirateurs de Thomas Dear et Marko Mimika sont irréprochables
Les nombreuses interventions des chœurs préparés par José Luis Basso n’appellent que des éloges.
Tel n’est pas le cas de la direction de Bertrand de Billy dont les tempos alanguis dès le prélude plombent le premier acte, par exemple le thème qui annonce l’entrée d’Amelia dans la masure d’Ulrica noté Allegro agitato e prestissimo, pris à une lenteur désespérante, tombe complètement à plat. Les choses s’arrangent avec la grande scène qui ouvre le deuxième acte dont la battue plus nerveuse, est davantage en situation. Mais en fin de compte, c’est dans l’interprétation vocale avant l’orchestre qu’il faut chercher le théâtre.