Cette année, le Festival des Arènes de Vérone a décidé de rendre hommage à Franco Zeffirelli en reprenant quatre des productions qu’il a réalisées pour cette manifestation, Carmen, Aïda, La Traviata et Turandot. Saluons au passage l’excellente gestion de sa directrice Cecilia Gasdia, qui a su réunir pour chaque ouvrage de cette édition des distributions idoines qui mêlent chanteurs de renommée internationale et jeunes artistes prometteurs. Ainsi pour Turandot, ont été conviés Anna Netrebko et Yusif Eyvazov qui avaient déjà interprété leurs rôles l’an dernier dans la vision moderne de l’équipe scénique D-Wok.
La production spectaculaire de Zeffirelli, créée en 2010, n’est pas sans rappeler celle qu’il avait réalisée pour le Met en 87 dont il existe maints témoignages filmés. Si à l’époque quelques critiques ont pu reprocher au metteur en scène italien l’aspect surchargé voire kitch de son travail, il faut reconnaître que celui-ci est parfaitement adapté au cadre grandiose des arènes.
Le premier acte se déroule devant d’immenses paravents sur lesquels sont représentés des dragons entremêlés sur fond grisâtre. Au deuxième acte, avant l’entrée de Turandot, ces paravents s’ouvrent sur une pagode gigantesque aux teintes jaune et bleu, peuplée d’innombrables figurants et danseurs qui portent des costumes somptueux avec, au fond, le trône doré de l’empereur. L’apparition de ce palais féérique – n’oublions pas qu’il s’agit d’un conte – déclenche une salve d’applaudissements nourris de la part du public. Le décor du troisième acte est identique à celui du premier jusqu’au revirement ultime de Turandot qui voit réapparaître le palais et la foule en liesse pour le chœur final.
Turandot © FotoEnnevi
Les costumes signés Emi Wada sont tout à fait seyants notamment ceux de Turandot moins surchargés qu’on aurait pu l’imaginer. Elégamment vêtue de bleu ciel au deuxième acte, d’un long manteau noir et blanc au début du trois, elle apparaît tout en blanc incrusté de jaune pour le triomphe final. Son partenaire en revanche a dû souffrir sous son manteau de laine car le thermomètre affichait encore 30° à minuit.
Turandot © FotoEnnevi
La direction d’acteurs, minimaliste, trahit manifestement l’absence du metteur en scène.
Chanteurs et chef d’orchestre constituent une équipe proche de l’idéal. Anna Netrebko, très en voix, est la grande triomphatrice de la soirée. Elle renouvelle son exploit de la saison dernière en livrant un portrait psychologique complexe de son personnage, loin des interprétations monolithiques et glacées que l’on nous sert trop souvent. Elle aborde « In questa reggia » avec un timbre éthéré, empreint de nostalgie – voire de mélancolie – et d’exquises demi-teintes avant de laisser éclater sa hargne dans la réplique « Da un uomo come te » lancée à pleine voix, enfin, elle exprime un soupçon de compassion sur les mots « Straniero non tentar la fortuna » comme si elle était déjà troublée par « le Principe ignoto ». Du grand art. Tout au long de cette page on reste subjugué par les moirures de son timbre capiteux et les sons filés qu’elle dispense dans un silence recueilli. Elle propose ensuite ses énigmes avec une détermination arrogante dans laquelle s’insinuent au fur et à mesure des réponses de Calaf, le doute, la crainte puis la détresse, Enfin elle rend pleinement justice au duo conclusif de l’œuvre, qu’on a rarement entendu interprété avec autant de conviction. A ses côtés Yusif Eyvazov ne démérite pas, te ténor possède les moyens exacts du rôle et une belle projection, indispensable en un tel lieu. Il propose un « Non piangere Liù » de belle facture, ornementé de quelques nuances bienvenues. Son « Nessun dorma » triomphant, couronné par un aigu final lancé avec facilité et longuement tenu lui vaut une ovation de la part du public enthousiaste qui lui demande de le bisser ce qu’il fait avec davantage d’aisance encore. Au cours du duo final, il parvient à se hisser au niveau de sa partenaire. Le vétéran Ferruccio Furlanetto possède un medium solide et sonore malgré l’usure perceptible des ans qui somme toute, sert son incarnation de vieillard affaibli. Maria Teresa Leva est la révélation de la soirée. La jeune soprano dispose d’un timbre frais et juvénile, tout à fait idoine pour son personnage d’esclave amoureuse. Elle possède de surcroît une voix homogène et une technique accomplie qui lui permet d’émettre de subtils pianissimi. Sa Liù est extrêmement touchante, notamment lors de sa confrontation avec Turandot. Son « Tu che di gel sei cinta » suivi de son suicide ne manque pas d’embuer les yeux des spectateurs. Ghëzim Myshketa, Riccardo Rados et Matteo Mezzaro rivalisent de fantaisie et d’humour acerbe dans leur incarnation haute en couleurs de Ping, Pang et Pong. Carlo Bosi, qui prête également sa voix au figurant à demi-nu qui incarne le Prince de Perse, campe un empereur Altoum idoine, enfin le jeune baryton Youngjun Park se révèle irréprochable en mandarin. Saluons pour finir l’excellence des chœurs, personnages à part entière de l’intrigue, préparés par Ulisse Trabacchin.
Marco Armiliato propose une direction extrêmement raffinée de la partition dont il fait ressortir une infinité de détails subtils, notamment au premier acte. Il rend justice aux scènes spectaculaires sans pour autant sombrer dans le clinquant superfétatoire.
Des caméras présentes dans la salle laissent espérer une retransmission prochaine quelque part voire une parution en DVD comme ce fut le cas pour Le Trouvère filmé ici même en 2019.