Ce samedi 7 mai le Metropolitan Opera a retransmis dans les cinémas, pour la seconde fois en moins de trois ans, la production désormais historique de Turandot que Franco Zeffirelli avait signée en 1987. Cette production est bien connue des mélomanes puisqu’elle a fait l’objet de deux parutions en DVD, la première avec la distribution d’origine (Eva Marton, Plácido Domingo, James Levine), la seconde, une vingtaine d’années plus tard avec Maria Guleghina et Marcello Giordani sous la direction d’Andris Nelsons. On connaît le penchant du metteur en scène italien pour les productions grandioses, quelquefois surchargées à l’excès, mais il faut reconnaître que, concernant cet opéra inspiré du conte merveilleux de Carlo Gozzi qui situe l’action dans une Chine légendaire et féerique, cela fonctionne parfaitement. Comment ne pas être captivé par ces tableaux vivants spectaculaires, ces décors monumentaux, ces costumes chatoyants, ces innombrables figurants et acrobates qui, somme toute, témoignent d’une esthétique de bon goût et rendent justice au texte.
Turandot © Marty Sohl / Metropolitan Opera
A l’automne 2019, le rôle-titre était dévolu à Christine Goerke. Pour cette reprise qui aurait dû constituer l’un des temps forts de la saison, c’est Anna Netrebko qui devait incarner la princesse de glace et par la même occasion célébrer ses vingt ans de carrière sur la première scène new-yorkaise, vingt ans au cours desquels elle aura interprété devant des salles combles, plus d’une quinzaine d’ouvrages différents dont une grande partie ont été diffusés dans les cinémas. Hélas, les circonstances en ont décidé autrement. Les complaisances supposées de la soprano russo-autrichienne envers Vladimir Poutine dont elle avait soutenu la candidature en 2012 avant de faire volte-face, l’ont contrainte à se retirer de cette production tandis que le Met mettait un terme, peut-être définitif, à sa collaboration avec elle.
Le rôle de Turandot a donc été confié à la soprano ukrainienne – tout un symbole – Liudmyla Monastyrska qui chante toute la première partie de « In questa reggia » mezzo-forte, comme dans un rêve éveillé, mais l’effet recherché est quelque peu compromis par son vibrato envahissant lors des premières mesures de l’air. La cantatrice est bien plus à son affaire vocalement lors des énigmes mais elle peine à exprimer son désarroi lorsque Calaf sort vainqueur de l’épreuve sans doute à cause de son timbre pauvre en couleurs, de même qu’elle demeure impavide durant tout le duo final sans se montrer capable de suggérer la métamorphose de son personnage au cours de cette scène. Interviewée durant l’entracte, la soprano avait confié qu’elle n’avait plus chanté cet opéra depuis sept ans, sans doute ne convient-il plus tout à fait à ses moyens actuels. Rien d’indigne n’est à relever dans sa prestation qui demeure cependant en deçà de ce que l’on attend dans ce rôle, surtout au Met. Au rideau final, comme le soir de la première, la chanteuse vient saluer, enveloppée dans un drapeau ukrainien, suscitant une large ovation de la part du public mais il n’est pas certains qu’elle ne doive ces acclamations qu’à son seul talent.
Liudmyla Monastyrska © Ken Howard / Metropolitan Opera
Face à elle, Yonghoon Lee aborde Calaf avec un timbre séduisant et une voix assurée lors de son premier air, qui produit un bel effet. Hélas, le ténor est vite dépassé dans la scène des énigmes dont il peine à soutenir la tessiture élevée qui l’oblige à chanter constamment en force au point de frôler l’accident vocal. Le très attendu « Nessun dorma » interprété avec une belle conviction, le trouve bien plus à son affaire en dépit d’un aigu conclusif écourté. C’est dans le duo final, dont la tessiture est mieux adaptée à ses moyens que le ténor coréen se montre sous son meilleur jour et distille une émotion largement perceptible servi par une palette variée de couleurs vocales.
On ne peut qu’être impressionné devant la longévité vocale de Ferruccio Furlanetto qui campe un Timur poignant avec une voix solide et bien timbrée, dotée d’un registre grave profond et sonore.
Lorsqu’on aura mentionné les prestations facétieuses mais non dépourvues de sentiment d’Alexey Lavrov, Tony Stevenson et Eric Ferring, respectivement Ping, Pang et Pong, et l’empereur satisfaisant de Carlo Bosi, il restera à saluer la Liù magnifique d’Ermonela Jaho, grande triomphatrice de la soirée, poignante de bout en bout, dont la douceur et la pureté de la voix et les somptueux sons filés qu’elle émet avec aisance pour servir une incarnation de premier ordre, lui valent un triomphe pleinement mérité.
Signalons également l’excellente préparation des chœurs, si importants dans cet ouvrage, et la qualité superlative de l’orchestre du Met aux belles sonorités.
Au pupitre Marco Armiliato, dont on connaît les affinités avec ce répertoire, dirige avec subtilité cette partition complexe en dépit de tempos un rien trop lents au premier acte. En revanche la scène des énigmes est spectaculaire et son dernier acte impeccablement construit avec une progression dramatique qui va crescendo jusqu’à la mort de Liù, est un sommet.
Le samedi 21 mai, le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live Lucia di Lammermoor dans une nouvelle production de Simon Stone avec Nadine Sierra dans le rôle-titre.