A 77 ans, Bob Wilson nous prouve qu’il est aussi jeune qu’un lecteur de Tintin, et sait nous surprendre avec une approche scénique renouvelée. Pour cette production de Turandot, le dernier chef d’oeuvre de Puccini, on reconnaitra bien entendu une bonne partie des fondamentaux du plasticien américain : il suffit au lecteur de parcourir les photos jointes au présent compte-rendu pour s’en convaincre… Théâtralement de même, on retrouvera cette gestuelle influencée par le théâtre Nô qui, à nos yeux d’européens nous semble adapté à cet ouvrage, oubliant un peu vite les 2091 kilomètres qui séparent Tokyo de Pékin ! Mais le metteur en scène américain sait aussi faire preuve d’un humour tout en finesse en composant un trio Ping, Pang, Pong virevoltant, drôle et aérien, absolument irrésistible, dans des pages qui apparaissent souvent comme un tunnel. Même si le troisième acte est un peu plus traditionnel, au sens wilsonien du terme, cette production est une vraie réussite qu’auront l’occasion d’apprécier dans les prochains mois les publics de Vilnius et Toronto.
© Javier del Real | Teatro Real
Irene Theorin est une Turandot de braise. La tessiture ne lui pose aucun problème. La voix est puissante, jamais forcée : on sent bien que cette Turandot a de la réserve sous le pied pour des salles plus imposantes. La taille du théatre lui permet au contraire des subtilités bien venues. A 64 ans, Gregory Kunde est un miracle de longévité. La tierce aiguë est tranchante, le contre-ut impressionnant, le timbre d’une jeunesse incroyable et la musicalité toujours impeccable. Il est rarissime d’entendre aujourd’hui chanter ce rôle sans impression d’effort, tout en conservant l’excitation d’une voix brillante. A certains égards, Yolanda Auyanet offre quelques similarités avec le ténor américain. Originaire des Canaries, le soprano a débuté dans le belcanto avant d’aborder des rôles plus lourds. Sa Liu offre ainsi la largeur de voix nécessaire, une authentique capacité d’émotion et une maîtrise technique (en particulier les piani) typiquement belcantiste. Le Timur d’Andrea Mastroni est de bonne tenue, avec un timbre un peu anodin. En Altoum, on retrouve avec plaisir, et une certaine émotion, le vétéran Raúl Giménez, absolument impeccable. Ping, Pang, Pong chantent ici la version intégrale de leur trio du second acte. Les voix sont globalement très bonnes. C’est surtout scéniquement, dans une exigeante dramaturgie très chorégraphique, que le trio emporte notre adhésion. La direction de Nicola Luisotti est rapide, presque métronomique et avare de rubato. Nous confessons notre préférence pour des approches plus sensibles et chantantes, mais force est de reconnaitre que ce choix rend le déroulé du drame encore plus inexorable. Orchestre et choeurs sont absolument excellents.