Festival Rossini de Pesaro et Opéra de Paris, même combat ? Il faut le croire, les deux institutions faisant appel aux antiques productions de Jean-Pierre Ponnelle dès qu’il s’agit de monter des opéras bouffes de Rossini. La mise en scène de L’Occasione fa il ladro, qui date de 1987, a cependant dans l’ensemble mieux vieilli que celle de la Cenerentola reprise au Palais Garnier la saison dernière. On y retrouve les inévitables toiles peintes mais elle a su garder fraîcheur et fantaisie qui semblaient s’être éventées à Paris.
Le spectateur s’installe face à un plateau vide. Arrive ensuite, par la salle, le valet Martino (Paolo Bordogna), portant un lourd bagage d’où il extrait les partitions pour le chef et le premier violon : la symphonie d’ouverture peut alors débuter. Sortent alors du même sac d’abord les personnages en sous vêtement, leurs partitions et costumes respectifs puis tous les éléments du décor. Paolo Bordogna s’en donne à cœur joie en démiurge (ici c’est lui qui échange volontairement les bagages, point de départ de l’histoire). Cabotinant, bondissant (il saute même parfois dans la fosse d’orchestre !), le chanteur italien semble être aujourd’hui incontournable dans les rôles de basses bouffes rossiniennes.
L’intrigue, bien que prétexte à nombre d’imbroglios, est au final assez simple. Lors d’un orage, deux hommes, Don Parmenione et le Comte Alberto, se retrouvent dans une auberge. Ce dernier est en chemin pour rencontrer sa promise qu’il n’a jamais vue. Don Parmenione s’aperçoit après le départ du comte qu’ils ont échangé leurs bagages : en possession de ce qu’il croit être le portrait de la future mariée et du passeport du comte, il décide de prendre sa place. Mais rien ne pouvant être simple, la promise elle- même, Berenice, décide d’échanger les rôles avec sa suivante Ernestina pour tester les sentiments véritables de son futur époux. Rassurez-vous, tout finira bien : le véritable comte tombera sous le charme de la fausse suivante (et véritable fiancée) tandis que Don Parmenione succombera à la fausse promise, Ernestina.
L’Occasione fa il ladro, farce musicale en un acte, créée en 1812, année d’intense créativité du jeune Rossini (avec rien moins que la création de L’inganno felice, Ciro in Babilonia, Demetrio e Polibio, La scala di seta et La pietra del paragone) ne souffre d’aucun temps mort. Dès l’ouverture tempétueuse, on est pris dans un tourbillon, qui multiple les airs complexes et virtuoses, les duos échevelés et un même un quintette. On apprécie à ce titre la mise en place impeccable de la très jeune chef d’orchestre taïwanaise Yi-Chen Lin. L’orchestre symphonique Rossini ainsi galvanisé en sort transcendé.
La distribution est d’une belle homogénéité avec un éclat particulier du côté du beau sexe. Elena Tsallagova est une Berenice épatante : jolie présence et voix délicieuse elle se joue des ensembles et de la longue et complexe aria « Voi la sposa pretendete ». Au-delà du timbre frais et fruité, sans aucune acidité même dans le suraigu, la soprano russe nous charme par son chant expressif et des vocalises brillantes et variées, avec quelques notes piquées du plus bel effet. Moins gâtée par le compositeur, car privée d’air, Viktoria Yarovaya (Ernestina) parvient tout de même à tirer son épingle du jeu, déployant un mezzo sonore mais souple et sans lourdeur.
Chez les prétendants, on retrouve en Don Parmenione un habitué du rôle : Roberto de Candia chantait déjà l’intrigant à Pesaro en 1996. Voix bien projetée plutôt claire, le baryton est visiblement à son aise ; tout juste pourrait-on souhaiter plus de folie dans les passages de chant syllabique rapide. Enea Scala (Comte Alberto) a le redoutable honneur de succéder à Rockwell Blake qui a marqué le rôle par une messa di voce d’anthologie dans son air « D’ogni piu sacro impegno » (on en trouve trace sur youtube). Sans renouveler l’exploit de son brillant ainé, le ténor natif de Raguse assume le rôle. Son chant manque tout de même de séduction, la faute à une émission qui sonne un peu forcée. La distribution est complétée par Giorgio Misseri (Don Eusebio, oncle de Berenice), ténor léger mais sonore.
On tient avec cette Occasione fa il ladro une des réussites du festival de Pesaro 2013.
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