Wexford est une petite ville portuaire située dans la sud-est de l’Irlande, à environ cent vingt kilomètres de Dublin, où se déroulait cette année le soixante-et-unième « Wexford Festival Opera ». Sa spécialité : présenter des opéras oubliés, très peu joués ou moins connus issus de répertoires très divers. Pas de grandes stars à l’affiche, ni même des noms familiers mais généralement de jeunes chanteurs prometteurs, souvent à l’aube d’une carrière internationale comme en atteste la liste des interprètes depuis 1951. Cette année l’affiche réunissait L’Arlesiana de Francesco Cilea, Le Roi malgré lui d’Emmanuel Chabrier et A Village Romeo and Juliet de Frederick Delius dont on commémorait le 150e anniversaire de la naissance. Les trois opéras, représentés chacun quatre fois, étaient entourés d’un programme de conférences, de récitals et de concerts, le plus souvent donnés par des artistes qui participent au festival.
L’Arlesiana de Cilea, d’après un livret de Leopoldo Marenco inspiré de L’Arlésienne d’Alphonse Daudet fut créée au Teatro Lirico de Milan en 1897. C’est Enrico Caruso qui fut le créateur de « E la solita storia el pastore », le lamento de Federico, fragment le plus connu de l’opéra. Si l’œuvre n’a pas vraiment pu s’assurer une place dans le répertoire, le lamento par contre est un air d’une très grande popularité, chanté et enregistré par les noms les plus illustres. A Wexford ce fut le ténor russe Dmitry Golovnin qui interpréta le désespoir de Federico, trahi par la belle Arlésienne qu’il ne peut chasser de sa mémoire et cherchant en vain le repos. Il campa son rôle avec une voix bien timbrée et un style adéquat. L’oubli auquel il aspire il le trouvera en se tranchant la gorge car pour Rosetta Cucchi, le metteur-en-scène de cette Arlesiana l’histoire de Daudet ne suffisait pas. Elle y a ajouté un monde imaginé par Federico qui est témoin de l’assassinat de son Arlésienne par son amant Metifio, et sombrant dans une folie sans retour, se voit entouré de multiples Arlésiennes puis finalement se suicide mais pas en se jetant dans le vide, comme le veut le livret. Le reste de l’histoire est traitée de façon assez réaliste dans un décor plutôt pittoresque de Sarah Bacon et des costumes qui rétrogradent l’action de quelques décennies, ce qui donne naissance à des incongruités dans les surtitres qui font rire le public. Bonhomie pour Baldassarre (Christopher Roberston sympathique et à la voix sonore), timidité et sensibilité pour Vivetta (Mariangela Sicilia soprano expressive mais un peu dure dans l’aigu), présence dramatique et menaçante pour Metifio (Quentin Hayes au baryton percutant) et candeur et chant tendre pour l’Innocente bien incarnée par Eleanor Greenwood. Annunziata Vestri campe une Rosa Mamai plus austère que maternelle et bascule assez facilement dans le mélodrame. La partie vocale met son mezzo-soprano étriqué assez durement à l’épreuve. Bonne prestations des chœurs et de l’orchestre. Mais la direction de David Angus aurait pu être plus souple et le son de l’orchestre avoir plus de chatoiement et de couleurs.
On peut se demander pourquoi un festival qui se spécialise dans la présentation d’opéras peu connus, ne cherche pas en premier lieu des metteurs en scène qui nous font découvrir ces œuvres telles qu’elles sont au lieu de nous imposer leurs lectures souvent saugrenues. Ce fut malheureusement le cas pour Le Roi malgré lui mis en scène par Thaddeus Strassberger. Il a fait de cet opéra comique français un show démesurément kitsch et de mauvais goût, mélangeant époques et styles et persillant l’intrigue d’effets comiques tarabiscotés. Henri de Valois qui parle de son « pays du gai soleil » est amené dans un solarium ambulant, la fête au palais de Laski est un grand show de télévision, le Comte de Nangis emprisonné sort tout droit de Guantanamo. Et surtout quelle idée de représenter Alexina, la jeune femme avec qui Henri a vécu une belle romance à Venise et qu’il poursuit toujours (sans savoir qu’elle est l’épouse de Fritelli), en femme enceinte qui accouche à la fin de l’opéra ! Ajoutez à cela que les dialogues sont souvent débités dans un français peu compréhensible et il est évident que l’intrigue déjà assez compliquée n’en devient pas plus claire. Mais le public semble s’amuser de ces frasques et il faut dire que la distribution montre un engagement sans faille. Sous la direction énergique de Jean-Luc Tingaud, l’orchestre parvient à faire ressortir la richesse de la partition, même si les cordes rencontrent quelques problèmes initialement. Les chœurs, très sollicités scéniquement, chantent avec ferveur et les solistes, même sans avoir tous le style requis, font généralement honneur à la partition. Liam Bonner est un Henri de Valois jeune, beau et insouciant au baryton insolent mais pas toujours bien maitrisé. Luigi Boccia offre au Comte de Nangis une présence moins convaincante et une voix de ténor assez agréable. Frédéric Gonçalvez (Le Duc de Fritelli) s’illustre surtout par ses dons de comédien. Minka connait en Marcedes Arcuri une interprète de tempérament au soprano virtuose mais parfois un peu mince. Nathalie Paulin donne à Alexina allure et féminité et Quirijn de Lang est un Laski menaçant. Le reste de l’ensemble est homogène et les danseurs impressionnants.
Le spectacle le plus réussi de cette édition du Wexford Festival Opera fut A Village Romeo and Juliet le drame lyrique en six scènes de Frederick Delius pour lequel le compositeur et sa femme Jelka ont écrit le livret d’après Romeo und Julia auf dem Dorfe extrait de Die Leute von Seldwyla de l’écrivain suisse Gottfried Keller. La première eut lieu au Komische Oper de Berlin en 1907, le première anglaise au Royal Opera House Covent Garden en 1910 sous la direction de Sir Thomas Beecham. A Village Romeo and Juliet est l’histoire de Sali et Vreli dont les pères qui se disputent une pièce de terre, interdisent leur amour. Quand finalement les jeunes gens sont quand même réunis, ils ne trouvent pas leur place dans la société qui les entoure et décident de mourir ensemble. On a reproché à A Village Romeo and Juliet de ne pas être un opéra, de manquer de force dramatique et d’avoir une conception peu conventionnelle de la musique vocale et instrumentale. Pourtant c’est finalement le plus populaire des six opéras de Delius même si ce n’est pas un drame musical traditionnel mais « un tableau symphonique dans lequel les éléments de drame, poésie, voix et argument musical jouent un rôle égal, nouveau et original dans une partition magnifique ». Sous la direction musicale de Rory Macdonald toute la splendeur de la partition de Delius culminant dans l’interlude orchestral « The Walk to the Paradise Garden » nous fut révélée. Heureusement la mise en scène ne trahit pas l’œuvre. Dans un décor unique et adaptable, plus suggestif que réaliste (Jamie Vartan) le metteur-en-scène Stephen Medcalf a raconté l’histoire de Sali et Vreli de manière directe et sobre. Il a su créer l’atmosphère juste et l’émotion sincère et donner à l’opéra une force dramatique inattendue grâce aussi à l’interprétation de Sali et Vreli par John Bellemer et Jessica Muirhead, très crédibles en jeunes amoureux et chantant avec des voix fraiches et expressives. David Stout, excellent dans le personnage du Dark Fiddler, sorte de bohémien qui représente la liberté et propose à Sali et Vreli de le suivre dans sa vie de bohème, a campé son personnage avec une présence dominante et une riche et ample voix de baryton. Les pères ennemis Manz et Marti ont bien été interprétés par Quentin Hayes et Andrew Greenan et tous les autres personnages des rôles épisodiques plus que correctement tenus. Une belle conclusion de l’édition 2012 du Weford Festival Opera qui pour 2013 annonce : Il cappello di paglia di Firenze (Nino Rota), Thérèse et La Navarraise (Jules Massenet) et Cristina, regina di Svezia (Jacopo Foroni).