Soirée anniversaire pour Les Talens lyriques qui célèbrent les 30 ans de leur création en jouant des extraits de Dardanus, mais surtout de beaucoup plus rares Fêtes d’Hébé, dont le sous-titre Les Talens Lyriques a donné son nom à l’ensemble (sans « t » donc). Œuvre réellement trop rare tant elle renferme de trésors musicaux. Certes le livret est d’une insipide préciosité, à faire passer celui des Indes Galantes pour de la grande littérature, mais des trouvailles harmoniques et rythmiques de Rameau se trouvent à presque chaque morceau. C’est d’ailleurs l’une des œuvres du Dijonnais qui rencontra le plus de succès auprès de ses contemporains. On regrettera alors de devoir se contenter d’extraits, même si ceux tirés de Dardanus sont non moins remarquables, mais plus entendus. Heureusement, les passages retenus comptent parmi nos favoris : le déchirant Air pour un Amour et le Génie d’Apollon, l’impalpable et presque mélancolique trio « Aimons d’une ardeur mutuelle », la musette pour les Bergers et celle en rondeau pour Terpsichore, sans oublier le grisant tambourin pour cette même muse habilement placé en fin de première partie, juste après l’italianisante et virevoltante ariette « L’objet qui règne dans mon âme ».
En trente ans d’existence, les Talens lyriques nous ont montré maints visages, que l’on nous autorise ici un petit et forcément lacunaire panthéon personnel : l’exactitude presque pointilliste de leur célèbre Mitridate héritée de l’école baroque anglaise ; l’entrain léger de la bande-son du film Farinelli retrouvé dans la tournée de leurs 20 ans avec Ann Hallenberg en épigone du castrat ou dans une inoubliable mais seulement radiodiffusée Arianna in Creta de Handel ; la densité et la poigne plus associées à l’école baroque hollandaise de leur Temistocle de JC Bach ; les plus récents Saul de Handel, Danaïdes de Salieri ou même Zaïs de Rameau. Ce soir ce sont des Talens étonnamment très sages que nous retrouvons pour leur anniversaire. Sous la baguette de Christophe Rousset, tout est parfaitement exécuté, pesé, propre, les attaques sont douces, tout baigne dans une délicatesse précise mais ouatée. Cela rend les passages lents voire suspendus presqu’irréels, mais les danses manquent de folie. L’ivresse viendrait de l’illusion que la maitrise vacille sous le poids des contrastes surprenants, or ici, aucun doute que le maitre à danser ne tolèrera aucun écart, ni prise de risque. Les tambourins sont amusés tout au plus, tant ils sont minutieux. Il faut dire aussi que l’acoustique du Théâtre de Châtelet étouffe les graves et distingue mal les pupitres, ce qui désavantage un ensemble qui a toujours tenu sa basse continue dans une relative discrétion.
Des Talens, l’avant-scène n’en manquait pas non plus. Primeur à la plus jeune, Ambroisine Bré confère une allure certaine et un style impeccable à ses incarnations, mais ses textes ne lui offrent malheureusement pas de quoi faire valoir une quelconque finesse psychologique ; on regrettera aussi que sa prononciation ne soit pas toujours limpide. D’autant que c’est clairement le point fort de ses deux comparses. Florian Sempey est souvent en prise avec une écriture trop grave mais transcende cette limite par une franchise immédiate d’incarnation. On l’a entendu chanter « Monstre affreux » de manière plus habitée mais ne boudons pas notre plaisir. Il semble néanmoins presque sur la retenue en comparaison de Cyrille Dubois toutes voiles dehors, dont le corps semble à l’étroit dans son costume, tant il remue au rythme de son chant. Un sort est fait à chaque mot – ici aussi faisons dans l’oxymore : voilà de l’expressionisme maitrisé. Cela nous vaut un « Lieux funestes » ardent sans être excessif et un « L’objet qui règne dans mon âme » brillant comme une flammèche, à la vocalise certes un peu minérale mais qui n’est jamais détimbrée.