Des six lauréats du concours des Voix Nouvelles, trois sont présents à Montpellier ou plutôt sont présentes. Pour corser le concert en l’absence des vainqueurs masculins, un baryton resté au bord du palmarès et un présentateur issu de la musique rap devenu animateur dans certaines émissions de télévision. En première partie, Kamini Zantoko introduit les airs dans un langage « jeune et décoincé » auquel il renoncera progressivement, peut-être parce que le public est trop peu réactif. En deuxième partie il lira la biographie de chaque soliste qui figure dans le programme, peut-être pour les illettrés et les mal voyants. Puisque dans son domaine il est une vedette, sa participation a probablement un coût Mais était-elle vraiment nécessaire ? A-t-elle eu un impact sur la vente des billets ? Voulait-on en faire un représentant d’une jeunesse – il est presque quadragénaire – aux goûts assez éclectiques pour s’intéresser aussi au répertoire d’opéra ?
Trois vrais lauréats, donc, qui sont en fait des lauréates. Probablement moins tendues que lors du concert de Paris, elles se montrent à leur avantage, peut-être favorisées par l’acoustique et les dimensions de la salle. Hélène Carpentier, premier prix du concours, commence par la valse de Juliette « Je veux vivre » dont elle surmonte les difficultés techniques avec aisance mais dont on ne perçoit pas nettement l’ivresse évoquée dans le texte. Elle sera ensuite une Zerlina séduisante dans « La ci darem la mano » qu’elle devrait cependant mûrir pour exprimer plus évidemment le vertige de la tentation, prélude à l’abandon du personnage. Après l’entracte elle inquiète par un vibrato très fort dans le récitatif qui précède « Je dis que rien ne m’épouvante » mais il s’agit probablement d’une intention expressive pour traduire la peur de Micaela, car il ne subsiste pas dans l’air, bien conduit jusqu’au diminuendo final sur le mot « Seigneur » un peu écourté. Elle est ensuite une Hanna Glawari pleine de charme dans le duo de La veuve joyeuse « L’heure exquise ». L’impression dominante est celle d’une voix très homogène sur toute son étendue.
Elle a pour partenaire, dans Mozart et Lehar, le baryton Gilen Goicoechea. Dans l’air de Zurga « L’orage s’est calmé » il a montré sa capacité à ciseler le texte et à plier à sa voix aux exigences de la partition, mais révélé une maîtrise du souffle perfectible. Toujours en soliste il chante l’air de Malatesta « Bella siccome un angelo » et l’on se demande qui l’a préparé, car on entend une romance sentimentale où l’on devrait percevoir une emphase qui rendrait suspect ce portrait d’une sainte à tout auditeur moins crédule que Don Pasquale. C’est dommage car la voix est bien posée et semble exploitée sagement sans chercher à outrepasser les limites de son étendue. Si le Don Giovanni n’éblouit pas, il n’est pas indigne et en Danilo il s’accorde bien à l’Hanna d’Hélène Carpentier, à la voix de laquelle la sienne se marie bien.
Troisième prix du concours, la mezzo-soprano Eva Zaïcik a l’assurance des lauriers qu’elle ne cesse de cueillir depuis trois ans. En Grande-Duchesse qui aime les militaires, elle démontre un aplomb vocal et un tempérament théâtral qui séduisent immédiatement. On retrouve ces qualités dans l’air « Cruda sorte » extrait de L’Italiana in Algeri, où malheureusement les vocalises escamotées semblent indiquer les limites de l’agilité. Moins virtuoses, le duo des fleurs de Lakmé où elle chante Mallika et celui de la bénédiction vespérale de Hänsel und Gretel où elle devient Hänsel, confirment sa musicalité. Le timbre est clair et velouté, et l’artiste semble exclure de chercher à l’assombrir en poitrinant.
Sa voix s’unit délicieusement à celle de Caroline Jestaedt, cinquième prix du concours. Celle-ci a donné « Caro nome » avec tous les ornements aigus qui tirent la rêverie et l’effusion débordante vers le numéro acrobatique, mais on ne peut le lui reprocher car elle n’a pas créé la tradition. Quant à l’air de la marraine dans la Cendrillon de Massenet, s’il est une occasion de plus de déployer la sûreté technique, il relève plus de la démonstration technique que de la prouesse artistique. Curieusement, c’est dans les duos avec Eva Zaïcik que cette sensibilité va se révéler à plein, très juste et très touchante.
L’orchestre national de Montpellier Occitanie s’acquitte fort bien de son rôle d’accompagnateur, le chef Gwennolé Rufet veillant à maîtriser le son pour soutenir au maximum les artistes et les dispenser de forcer leur voix. Les musiciens recueilleront leur part d’applaudissements après l’ouverture de L’Italiana in Algeri, dynamique et colorée à souhait, puis celle de La forza del destino de bonne tenue malgré un final un peu grandiloquent et le délicieux intermezzo du rêve de Hänsel und Gretel.
Inévitable tarte à la crème en guise de final, le « Brindisi » de La Traviata rassemble les quatre chanteurs auxquels se joint l’animateur. Le public n’avait pas envahi le théâtre mais les présents applaudissent chaleureusement. On souhaite à ces quatre interprètes le meilleur dans la voie difficile qu’ils ont choisie !