Pourquoi en 2014 les éditions musicales Ricordi ont-elles décidé de faire réaliser par Caterina Calderon une réduction pour orchestre de Tosca ? Probablement pour répondre enfin à la demande de sociétés musicales désireuses de représenter le chef-d’œuvre de Puccini, titre populaire entre tous, dans les innombrables théâtres de poche dont regorge l’Italie, en fonction de l’exigüité de l’espace et des effectifs de musiciens disponibles.
En ces temps de pandémie où la direction de Maurice Xiberras a fait de l’Opéra de Marseille le phare français de la continuité de la vie lyrique et pourrait être érigée en modèle, le choix de cette version s’est imposé. Quand il s’agit de survie, on pèse les avantages et les inconvénients : à priori ramener un orchestre de quatre-vingt-trois musiciens à un effectif de vingt-cinq – seulement dix cordes ! – c’est consentir à une sévère mutilation de la chair musicale. Est-ce raisonnable ?
Floria Tosca (Jennifer Rowley) et Mario Cavaradossi (Marcelo Puente) © christian dresse
Ce n’est donc pas la moindre des surprises heureuses que de découvrir, en cet après-midi du 14 février, l’habileté de la transcription. Les musiciens sont dans la fosse, hormis la harpe et le jeu de cloches. Et qu’entend-on ? Quelque chose qui, d’après Giuliano Carella, pourrait se définir comme un passage intermédiaire entre la version pour piano et une première couleur orchestrale, comme pourrait l’avoir imaginée Puccini. Un « à la manière de » qui respecte scrupuleusement les parties vocales et les lignes mélodiques. Autrement, aurait-il accepté de diriger ?
Car l’amour de Giuliano Carella pour Puccini, qui lui a valu d’être associé aux festivités célébrant le compositeur à Lucca pour le cent-cinquantième anniversaire de sa naissance, est viscéral. Sa partition de Tosca – l’actuelle, car la première est tombée en lambeaux – est proche du palimpseste tant elle est couverte d’annotations. Est-ce sa familiarité si étroite avec l’œuvre originale ? Il réussit le tour de force de rendre passionnante l’écoute de cette épure, admirablement secondé par les musiciens. Si certains auront peut-être regretté un amincissement de la pâte sonore, la justesse et l’intensité des accents étaient bien là. Effectif réduit mais passion entière. L’enregistrement qui sera diffusé sur le site de l’Opéra de Marseille et sur les réseaux sociaux permettra à tous d’en juger. Si la prise de son est bonne, sans nul doute notre plaisir sera partagé.
Sciaronne, Tosca et Scarpia (Jean-Marie Delpas, Jennifer Rowley et Samuel Youn) © christian dresse
L’avantage pour les chanteurs de cette version est de ne pas les obliger à lutter contre la marée de l’orchestre, même si celui-cI ne sonne à aucun moment grêle ou étriqué, ce qui prouve, redisons-le, l’efficacité et l’habileté de la transcription. On retrouve dans les seconds rôles des interprètes déjà présents lors de la création de la production en 1995, Jean-Marie Delpas en Sciarrone, Loïc Félix en Spoletta et Jacques Calatayud en sacristain. Ils sont irréprochables. Patrick Bolleire campe un Angelotti très convaincant en homme affaibli par sa fuite épuisante. Du Scarpia de Samuel Youn, on retiendra la fraîcheur d’une voix qu’on aimerait plus sombre, mais la musicalité, l’absence d’effets histrioniques, l’engagement lors de la pantomime à la fin de l’acte I, la gestion des moyens, autant de qualités, autant de satisfactions. Surmonté un vibrato initial un peu insistant, Marcelo Puente exprime les sentiments de Cavaradossi avec une élégante justesse qui complète heureusement l’expansivité initiale de la Tosca de Jennifer Rowley. Elle fait habilement évoluer son personnage au second acte pour passer du vaudeville à la tragédie de façon crédible. Son « Vissi d’arte » sans maniérisme sera applaudi.
Nous ne parlerons pas non plus du troisième acte, auquel nous avons malheureusement dû renoncer en raison des contraintes d’un déplacement sous couvre-feu. Mais il a probablement couronné la réussite de cette représentation. Le spectacle, reprise de la production de 1995 qui nous avait peu convaincu alors qu’elle avait séduit Fabrice Malkani à Saint-Etienne, s’est adapté : pas d’enfants de chœur, donc pas de maîtrise, pas de figurants, les dévotes coiffées de mantilles qui dissimulent leur masque, les choristes au premier balcon pour la cantate du deuxième acte, les mesures de lutte contre l’expansion du virus sont suivies à la lettre.
Pourtant les solistes ne sont pas éloignés les uns des autres, et miment même les situations d’intimité comme la scène des baisers dans la chapelle, au premier acte. Imprudence ? Non, loin de là, mais abnégation : c’est au prix des contrôles auxquels ils se soumettent sans cesse qu’ils peuvent s’engager ainsi et maintenir le spectacle vivant. S’ils méritent notre admiration pour leurs prestations artistiques, ils méritent tout autant notre respect pour leur attitude et leur détermination. Quand l’Opéra de Marseille diffusera la captation, souhaitons un record de connexions pour leur rendre hommage !
Disponible dès le 28 février à 17 heures sur opera.marseille.fr jusqu’au 28mars