Hors saison, à Belle-Ile, vous aurez peut-être la surprise d’entendre d’étonnantes discussions : ici, ce sont deux dames qui, à la poissonnerie, échangent sur les difficultés rythmiques du Sanctus de la Messe Nelson de Haydn ; là, ce sont deux enfants dont les conciliabules, devant la boulangerie, évoquent moins le mérite comparé des crocodiles et des carambars, que les démêlés tragiques de Tosca et Scarpia. Telle n’est pas la moindre réussite du Festival Lyrique-en-mer, qui depuis vingt ans, fédère les iliens autour d’un projet lyrique d’envergure. Bénévoles et amateurs se révèlent les rouages indispensables permettant la création de 26 opéras et 73 concerts de musique sacrée en deux décennies. Autre charme propre aux festivals d’été, le public des soirées mêle complaisamment îliens et intelligentsia parisienne en vacances. Tous célèbrent ce soir le destin déchirant de Tosca dans une mise en scène sobre mais efficace de Stephanie Havey qui utilise fort intelligemment les trois courtes semaines de répétition tout comme la faible ouverture de scène dont elle dispose. Quelques éléments de décors mobiles campent l’église puis les créneaux du château Saint-Ange et sa geôle tandis qu’un grand crucifix s’abat un peu plus à chaque acte, à l’image des espoirs de Tosca. Des aspirations piétinées comme cette croix qui lui sert de rampe pour le saut final.
© Lauren Pasche
L’harmonie en doré et noir qui unifie costumes et décor est d’une élégante sobriété. Elle est réveillée par des touches de rouge comme ces simples rubans appliqués sur des costumes de ville qui créent une mystérieuse hiérarchie militaire et résonnent du sang des victimes du tyran romain. Scarpia, justement, est superbement incarné par Tyler Simpson, un pilier du festival. Fort d’une projection percussive, d’une excellente diction, il s’enorgueillit surtout d’une belle prestance à la dureté retenue, au sourire glaçant. Face à lui s’épanouit la formidable Tosca de Natalya Romaniw, à la présence déchirante d’une grande justesse, à la voix longue dotée un beau legato, de médiums et graves soyeux, d’aigus larges, puissants et solaires. Elle confirmera cette convaincante prise de rôle à l’Opéra National d’Ecosse la saison prochaine. On aurait aimé l’entendre dans Tatyana ou Jenůfa, deux rôles qu’elle a récemment interprétés outre-Manche. Son amoureux de théâtre, Adorján Pataki, appelle un jugement plus nuancé. Si le timbre est glorieux et les médiums fermement campés, les aigus, en revanche, décrochent trop souvent. John Paul Huckle propose un Angelotti convaincant, à la voix charnue, que l’on souhaiterait entendre plus longuement ; Christian Bowers incarne un sacristain enjoué à la projection très naturelle. Le chœur d’enfants du festival ainsi que les jeunes artistes en formation complètent avantageusement la distribution.
La réduction d’orchestre réalisée par Philip Walsh fait la part belle aux instruments à vents – clarinette et basson tout particulièrement – qui souffrent moins que les cordes, éprouvées en cette soirée caniculaire. L’effectif – regroupant une quinzaine d’instrumentistes – n’en demeure pas moins efficace. La direction engagée du chef britannique permet une intensité dramatique intacte, une précieuse utilisation des couleurs, des nuances, enrichies d’un travail de chambriste remarquable pour les musiciens souvent seuls à assurer leur pupitre. L’équipe de bénévoles – très investie – a grand mérite de créer ainsi des œuvres du grand répertoire dans ce paradis bellilois ! Comme souvent dans les festivals bretons, la proximité des spectateurs avec la scène est porteuse d’une émotion toute particulière dont les estivants auraient tort de se priver.