Tim Mead et François Lazarevitch étaient de nouveau réunis, hier soir, sur la scène de Gaveau, dans une parenthèse vivaldienne consacrée à des airs d’opéras, tirés notamment d’Orlando Furioso, et des pièces musicales connues et moins connues. Le programme présenté met l’accent sur le talent protéiforme de Vivaldi, qui cultivait la virtuosité et les éclats dramatiques sur le plan musical tout en tissant des lignes vocales sublimes pour les chanteurs.
François Lazarevitch et les Musiciens de Saint-Julien aiment emprunter des chemins de traverse et assument pleinement la liberté de cet éclectisme stylistique. Car s’il est une qualité que l’on peut associer au musicien et à son ensemble, c’est bien l’imagination dans la composition des programmes et dans les univers sonores créés. Et cette soirée ne fait pas exception, l’alternance d’œuvres instrumentales et vocales est superbement agencée pour donner un rythme parfait au programme. Le flutiste mêle à une fine connaissance musicologique une pratique intuitive de la musique ancienne, le tout magnifié par la voix ductile de Tim Mead. Cette soirée est une affaire de musiciens et cela s’entend. Chacun s’écoute attentivement sur scène et même hors scène. A cet égard, pour tout comprendre de cette osmose, il fallait capter l’expression de Tim Mead assis dans la pénombre, pendant les parties instrumentales, complètement happé par la musique, le regard rivé sur François Lazarevitch et ses musiciens. Et dans cet accord parfait, le dialogue entre la voix et l’ensemble instrumental est total.
Le timbre du contre-ténor est idéal pour ce répertoire et s’illustre avec brio tant dans un registre mélancolique (Gelido in ogni vena) que dans les moments plus expressifs de haute tension dramatique, où le chanteur donne corps à la tourmente des sentiments (Qual serpe turtuosa) et au feu d’un courroux intérieur, dont le point d’orgue est incontestablement le superbe Gemo in un punto e fremo qui a plongé le public dans un état de grâce. Mais cette voix peut également se teinter d’infinies nuances au fil de pages plus aériennes et virtuoses (Cara Sposa). L’intelligence du texte est sublimée par une diction claire et une riche ornementation aux ressorts quasi instrumentaux. Le chanteur sait animer la moindre phrase par un engagement total. On peut alors pleinement apprécier dans cette interprétation habitée, chaque phrasé, les legati et crescendi, distillés dans un chant débarrassé de toute fioriture inutile. Car contrairement à certains contre-ténors, Tim Mead ne s’adonne ni au maniérisme, ni à la pyrotechnie vocale. On sent alors ici à quel point l’artiste a gagné en maturité et qu’il est aujourd’hui dans la plénitude de ses moyens.
A la fois chef et musicien, François Lazarevitch jongle entre le pupitre et plusieurs flûtes, et il donne ici la pleine mesure de son éclectisme. Nous sommes loin des timbres cossus et lisses d’un English Concert ou d’une Academy of Ancient Music, mais l’approche vivifiante du musicien et de son ensemble, aux sons à la fois corsés et rustiques, qui emprunte beaucoup à la danse, emporte l’enthousiasme de l’auditeur au fil des pièces. Telle est l’alchimie entre art populaire et approche érudite de la musique des Musiciens de Saint-Julien.
François Lazarevitch Tim Mead Gaveau 16/11/2022 © Jean-Baptiste Millot
Quittant les rives de l’Italie, Tim Mead et François Lazarevitch nous ont fait l’offrande, en guise de conclusion à ce concert, d’un détour par les côtes de l’Angleterre avec un très inspiré Drive the cold winter away – un air anonyme figurant sur leur album The Queen’s delight – et un traditionnel celte dominé par la musette baroque de l’éclectique musicien. Avec une telle synergie, Tim Mead et François Lazarevitch ont tenu l’auditoire à distance des premiers froids de l’hiver en attisant le feu des dernières couleurs de l’automne.