Le plus simple, lorsque l’on monte The Fairy Queen, est encore de respecter l’œuvre telle qu’elle fut créée en 1692. Le plus simple, mais pas le plus léger : il faut une troupe entière d’acteurs pour jouer le texte du Songe d’une nuit d’été révisé par Thomas Betterton, ainsi qu’une troupe de chanteurs et de danseurs, et un orchestre, pour y insérer les intermèdes musicaux conçus par Purcell. William Christie l’a fait plusieurs fois, à Aix-en-Provence en 1989, puis à Glyndebourne en 2009. Le résultat peut être superbe, mais long et onéreux. D’où la tentation, souvent, de ne retenir que l’aspect musical, comme le fit par exemple David Pountney pour l’English National Opera en 1995. La tâche est alors rude pour le metteur en scène, qui ne dispose plus que d’une série de divertissements où les numéros se succèdent avec plus ou moins de cohérence. Raconter l’intrigue shakespearienne à partir de là n’est pas impossible, mais relève de l’acrobatie, puisque le texte des airs n’a plus que des liens assez ténus avec la querelle d’Obéron et de Titania. On comprend alors que Mariame Clément ait décidé d’imaginer une autre histoire, un fil narratif qui permette, sans couper entièrement les ponts avec A Midsummer Night’s Dream, de donner une réelle unité au spectacle. Avec la complicité de sa décoratrice et costumière attitrée, Julia Hansen, mais aussi avec l’aide d’une nouvelle venue, la romancière britannique Lucy Wadham, elle propose une Fairy Queen qui se déroule (un peu) pendant une représentation de The Fairy Queen, mais surtout avant, durant les répétitions, et un peu après, lors du cocktail de première. Les protagonistes ne sont plus les amants athéniens, les artisans comédiens ou le roi et la reine des fées, mais un metteur en scène, sa dramaturge, son décorateur, ses chanteurs et ses acteurs. Et dans ces couples qui se font et se défont, parfois grâce à l’intervention magique du susdit décorateur, on retrouve finalement ce mystère des relations amoureuses dont Shakespeare avait fait le sujet de sa pièce.
Inévitablement, Anna Prohaska bénéficie de la plupart des plus beaux airs de la partition : « Night », « Let me weep », et bien d’autres encore qui, grâce à la nouvelle intrigue, perdent leur caractère rhétorique et abstrait pour s’incarner dans le drame d’un personnage. Toujours souveraine dans Purcell, comme elle l’a prouvé au disque ou en concert, la soprano brille ici de mille feux, dans son personnage de jeune choriste appelée à se substituer à la détestable castafiore initialement prévue dans le rôle de Titania. Voix de ténor typiquement britannique, dont on sait déjà que Britten lui convient fort bien, Rupert Charlesworth bénéficie lui aussi d’un personnage complexe, et ses tourments sentimentaux donnent infiniment plus de sens à un air comme « One charming night gives more delight ». Avec des couleurs plus sombres mais une virtuosité intacte, Kurt Streit a un peu moins d’airs à son actif ; on s’étonne que n’ait pas été conservé le duo de ténors « Let the fife and the clarions », mais peut-être est-ce lié à l’édition critique utilisée. En l’absence de contre-ténor, les airs habituellement confiés à une voix masculine aiguë sont confiés à Marie-Claude Chappuis, superbe dans son rôle de victime ; lorsqu’elle s’enivre pour oublier ses déboires amoureux, le spectacle s’autorise une échappée hors du réalisme, vers une grandiose forêt magique. A Florian Boesch échoient presque tous les airs de basse, auxquels il prête la richesse de son timbre et le mordant de sa diction ; presque tous, car il doit laisser l’air de l’hiver à Florian Köfler, membre du Jeune Ensemble du Theater an der Wien. Sa consœur Carolina Lippo hérite elle aussi d’un air.
Grâce à cette mise en scène brillante, en forme d’hommage au monde du spectacle, chacun des membres de l’excellent Chœur Arnold Schoenberg se voit attribuer un véritable rôle correspondant aux nombreux « métiers de l’opéra » : régisseur, souffleur, chef de chœur, chef de chant… A la tête de ses Talens lyriques, Christophe Rousset sait magistralement alterner les climats au gré des diverses facettes de la partition, optant parfois pour des tempos particulièrement retenus, en accord avec la signification nouvelle qu’acquièrent certains airs, comme « I am come to lock all fast », par exemple. On pardonnera quelques dérapages des trompettes pour ne retenir que la majesté d’une page comme la grande chaconne finale, pendant laquelle de vrais machinistes démontent une partie du décor, pour mieux souligner qu’il s’agit bien ici de théâtre dans le théâtre, tout comme l’a voulu Shakespeare dans Le Songe d’une nuit d’été.